Culture PORTRAIT

El-Moustach, le designer de l’époque noire et blanc

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Hana MENASRIA Publié 08 Septembre 2021 à 19:21

© D. R.
© D. R.

Symbole  de  virilité,  d’honneur  et  de  dignité  chez  les  hommes, la moustache incarne une métrologie algérienne du “charisme”. Elle a disparu du paysage et surtout des visages. Elle n’est plus de mode. Pas tout à fait. Un homme veut la réhabiliter. Il en a même fait son identité artistique qu’il entretient soigneusement. El-Moustach. Qui ne connaît pas ce personnage qui ne passe jamais inaperçu. On le reconnaît non seulement à sa moustache, mais aussi à sa tenue vestimentaire qui correspond à son monde Pop culture. “Liberté” l’a rencontré dans son QG à Boumerdès, Hichem Gaoua, alias El-Moustach, se raconte et raconte ses œuvres, ses rêves et ses folies. 

Dans le café maure Madaure, situé au centre-ville de Boumerdès et connu par la majorité de ses habitants, nous nous attablons pour siroter un bon café, en cette journée ensoleillée de lundi. Créé dans les années 1980, cet espace, dont le responsable est originaire de M’daourouch (anciennement Madaure, Souk Ahras), est devenu le quartier général d’un grand nombre d’intellectuels et d’artistes de la région, à l’exemple de l’écrivain Rachid Mimouni. Outre une décoration traditionnelle que l’on retrouve dans beaucoup de cafés algériens, la particularité de ce lieu est l’exposition permanente d’une dizaine d’œuvres de l’infatigable El-Moustach. À cet effet, le client est “entouré” d’Athmane Ariouet, de Rabah Madjer, des six historiques ou encore de l’un des talents de la nouvelle scène musicale Zaki Mihoubi. Ces toiles ne sont pas là par hasard, car cet endroit est aussi le QG de Hichem Gaoua, alias El-Moustach, que nous avons rencontré en ce début de mois de septembre. Qui ne connaît pas cet artiste graphiste et designer ? L’une des figures incontournables du pop art algérien qui a su se démarquer par ses portraits de personnalités culturelles, historiques, politiques ou sportives, ainsi que par un look atypique, mêlant le traditionnel au moderne. Un look devenu au fil du temps sa marque de fabrique : chèche, lunettes noires, séroual et évidemment une moustache bien taillée ! Tous ces ingrédients font de cet artiste El-Moustach. Mais qui se cache réellement derrière ce personnage qui, en quelques années seulement, s’est imposé sur la scène artistique comme l’une des références de la pop culture algérienne ? Sur cette question, une seule réponse vient en tête : Hichem Gaoua est une personne entière, qui tend à exercer son art dans le seul objectif de faire revivre ses traditions, sa langue, son histoire et son patrimoine. Et cette conscience est née au café Madaure, qu’il fréquente depuis plusieurs années. “J’habite juste à côté. Alors, avec mes copains nous venions ici pour papoter. Comme tous les jeunes, j’étais à la recherche de moi-même, de mon identité, et mon repère était de me retrouver dans cette ‘bulle de Madaure’”, nous a-t-il confié. Et le designer de poursuivre d’un air nostalgique : “Dans ce café, il y a une dynamique sociale, un génie populaire. Les clients sont issus des différentes couches sociales, dans le langage, la culture… On rencontre aussi des artistes, des auteurs. Une rencontre avec un poète m’a fait découvrir du melhoun, poésie soufie (…)” Ainsi, ces instants de partage, de débat et de réflexion lui ont fait découvrir que la “derdja” (arabe algérien) et la culture populaire ne sont pas valorisées et sont malencontreusement tombées dans le folklorique. “Notre mémoire populaire n’est pas entretenue et ce, du côté officiel ou citoyen. Mais elle commence à reprendre sa place grâce aux réseaux sociaux, à travers les posts en arabe algérien où les mèmes”, a-t-il souligné. Avant de construire son personnage d’El-Moustach et d’embrasser une carrière dans les arts, Hichem Gaoua, âgé aujourd’hui de 42 ans, était un “matheux”, plutôt bon élève, qui a toujours été premier de sa classe. En décrochant le bac, il suit de 1997 à 2002 des études d’ingéniorat en électricité à l’École polytechnique d’El-Harrach (Alger). “J’ai poursuivi mes études jusqu’en 2005 pour l’obtention d’un magistère, mais j’ai dû abandonner pour la vie professionnelle”, se rappelle le polytechnicien. En effet, le monde du travail a mené Hichem sur une autre voie : celle de l’informatique. En découvrant cet univers si fascinant, il réalise des expériences qui contribueront à le mener sur le chemin d’El-Moustach. “J’avais cet ‘orgueil’ des polytechniciens et j’ai reçu une claque en bossant avec de jeunes autodidactes. En tant qu’ingénieur, j’étais loin d’égaler cette jeunesse qui arrivait à réaliser des choses très techniques et cérébrales”, a-t-il raconté avec le sourire. Volontaire et perfectionniste, il décide de se surpasser, à travers des formations pour maîtriser différents outils, notamment la communication visuelle (design graphique), le marketing, le management…

Naissance d’El-Moustach… 
La communication visuelle acquise, Hichem Gaoua en fait son métier à partir de 2010. Alors, il enchaîne des postes dans des entreprises privées en tant que directeur artistique et sur le design graphique de grands projets. À ce moment-là, il commence à pétrir la pâte d’El-Moustach, mais le personnage est loin d’exister encore. En parallèle de son travail, ce “geek” ou rat de laboratoire, comme le surnomme ses amis, s’interrogeait sur la place de la langue algérienne dans notre société. “Les Algériens étaient complexés ; ils ne valorisaient pas leur langue ! J’étais comme un ‘salfiste de la langue’, je faisais une sorte d’’obsession’ sur la derdja, car elle aurait pu devenir une force.” À cet effet, il se lance dans ses premières œuvres en réalisant des calligraphies et des caricatures qu’il publie sur Facebook, le seul espace d’expression. Plutôt réservé et timide, Hichem est l’“opposé” d’El-Moustach, et pour toucher du monde, il utilise ses compétences dans le marketing pour façonner ce personnage. Au sujet de son identité visuelle, “la moustache est inspirée de plusieurs personnalités qui la portait, à l’exemple de Boumediène, des héros de la Révolution ou le FLN. Elle fait partie de notre culture et je me la suis réappropriée”. Concernant le chèche, il a été inspiré par “Le capitaine”, leader de sa bande de copains, descendant de la famille révolutionnaire chaouie Hadj Lakhdar. En somme, El-Moustach est une mosaïque de ses amis de quartier ayant énormément compté dans sa construction. Aussi, d’autres artistes ont influencé le jeune Gaoua, à l’instar de Denis Martinez ou encore de Walid Bouchouchi. Nous sommes en 2014 et, à partir de là, la carrière artistique d’El-Moustach prend une autre tournure. Ses œuvres aux couleurs attrayantes, dans lesquelles il s’est réapproprié les portraits de grandes figures, explosent sur les réseaux sociaux et deviennent une référence dans le pop art DZ. Cela l’amène à exposer dans de nombreuses galeries d’art et à participer à d’importants événements culturels, à l’instar de la première biennale du design algéro-française, organisée en juin dernier par l’ambassade de France en Algérie.  

Design, stylisme et entrepreneuriat 
La performance présentée à l’Institut français d’Alger (IFA), lors de la clôture de la biennale, marque un nouveau tournant dans la carrière de cet artiste éclectique. Intitulée The North African Street Wear, El-Moustach vient de lancer la marque de vêtements Zen9awear, inspirée des vêtements traditionnels nord-africains (djellaba, djebba, sérouel, Shanghaï…), pour “les projeter vers des trajectoires plus modernes 2.0, voire futuristes en intégrant les codes du street wear, confortable, pratique”. À propos de ce projet qui lui tient à cœur, Hichem en parle avec enthousiasme et beaucoup de passion, car son but n’est nullement d’ouvrir seulement une boutique et de gagner de l’argent, mais de “répandre ce style, et que cela devienne une marque déposée”, et, pourquoi pas, d’exporter la tradition algérienne à l’international. Après une matinée avec Hichem Gaoua, nous découvrons qu’il ne peut être dissocié d’El-Moustach, car l’homme  – et l’artiste – est un humaniste qui possède un grand sens de l’empathie pour son prochain, soucieux de l’avenir de son pays, de sa jeunesse et des artistes de Boumerdès.


 

Hana MENASRIA

    

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