Culture FILM “LARBI BEN M’HIDI” DE BACHIR DERRAÏS

HISTOIRE D’UN HOMME D’EXCEPTION

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Hana MENASRIA Publié 16 Juin 2021 à 23:38

© D. R.
© D. R.

Ce film est sans conteste l’une des plus belles œuvres historiques de ces dernières années.  Ben M’hidi  est  un  film  à voir, mais surtout à projeter dans toutes les salles d’Algérie.

Si nous venons à mourir, défendez notre mémoire”, disait Didouche Mourad. Et Bachir Derraïs a accompli cette mission à travers son biopic Larbi Ben M’hidi. Interdit de projection depuis 2018 par le ministère des Moudjahidine (coproducteur du film), Liberté a eu l’opportunité de visionner ce chef-d’œuvre cinématographique – sans exagération aucune – qui offre une nouvelle vision sur notre histoire. Loin des stéréotypes que nous retrouvons souvent dans les productions historiques et sans user d’artifices, le réalisateur dresse le portrait d’un personnage complexe partagé entre des moments de doute, de peur, de joie… En bannissant ainsi cette image de superhéros ou de surhomme qui résisterait même à de la “kryptonite”. 

Né pour accomplir un grand dessein, Larbi fait partie de ces hommes dont la destinée ne peut être qu’héroïque et tragique à la fois. Et c’est cette facette que nous découvrons dans ce long-métrage de 1h58 minutes, qui se veut avant tout une Histoire humaine. Le film s’ouvre sur le petit Larbi âgé d’à peine dix ans, cet enfant au tempérament bien trempé qui nourrit déjà de la rancœur pour ces colons ayant spolié les biens de son père. Impulsif, il n’hésite pas à défendre les opprimés ; son père et sa mère sont alors dans la contrainte de l’envoyer chez son oncle à Batna pour poursuivre ses études. Après l’obtention d’un certificat d’études, Larbi est de retour dans la maison familiale à Biskra, où ses parents ont élu domicile. Quinze ans après cet épisode, le voilà grandi et commence sa “révolution” au théâtre en tant qu’acteur aux côtés de son acolyte Brahim Chergui. Militant dans l’âme, la position de Ben M’hidi est claire : il faut arracher la liberté pour une Algérie algérienne.

Ses prises de parole dans les meetings lui valent une bastonnade par les flics français, mais cela ne l’empêche nullement de poursuive son combat et de participer ainsi aux événements du 8 Mai 1945. Cette action lui coûte sa première incarcération d’une durée de quinze jours. À partir de là, Bachir Derraïs fait défiler magistralement les grands moments-clés du parcours politique et révolutionnaire de Ben M’hidi. Le récit, tiré de témoignages de ses proches et d’archives, nous embarque notamment dans une salle de cinéma où il rencontre pour la première fois Didouche Mourad et Mohamed Boudiaf, un moment fort qui lui permettra de tracer sa voie, celle d’un leader. Ainsi, il intègre l’OS, participe à la réunion des six dirigeants historiques et à l’organisation stratégique de la guerre… jusqu’à son exécution par le général Aussaresse dans la nuit du 3 au 4 mars 1957.

Des vérités historiques, un motif de censure ? 
Tout au long de cette œuvre, la trame est construite sur la stratégie politique entre Ben M’hidi et les autres dirigeants du FLN. Des faits rapportés par des historiens, des universitaires ou encore les protagonistes eux-mêmes. En somme, des “révélations” qui sont loin d’être un “secret” d’État ! Avant qu’ils ne soient militants, politiciens ou militaires, ces architectes de la révolution algérienne sont des hommes qui se différencient par leur personnalité, leurs aspirations, leur qualité, leurs défauts, mais aussi dans leurs idéologies. En fait, tous ces ingrédients font de chaque personne un être unique. Et c’est ce qu’a relevé le cinéaste dans son film, une démarche qui a malheureusement déplu aux coproducteurs ! Ainsi, dans des dialogues bien ficelés, nous assistons en témoins à cette reconstitution de l’histoire du pays, à travers les différentes réunions qui s’enchaînent, où sont évoquées les actions à entreprendre, comme celle de l’attentat du mythique Milk Bar  (Alger), la responsabilité de chacun dans son secteur (répartition des zones), les appels à la grève… Les avis divergent, et cela a provoqué des animosités, à l’exemple de la dispute entre Ben M’hidi et Benbella, en Égypte, au sujet du Congrès de la Soummam.

Cette altercation est connue et a même été évoquée par bon nombre d’historiens, mais la commission de visionnage estime que cette séquence n’a pas lieu d’être dans le film ! L’une des scènes marquantes également du biopic est celle de la réunion des six chefs historiques durant laquelle s’est décidée la date du déclenchement de la guerre et la naissance du FLN. Mais aussi où l’on témoigne que “la révolution algérienne est une guerre d’indépendance et non une guerre de religion”, une autre séquence ou “tache noire” pour la commission. Minutieux dans son travail, Derraïs ne néglige aucun détail. Il nous fait revivre ainsi des moments importants, tels que le Congrès de la Soummam, où a été prononcée, entre autres, par Abane, la phrase “La primauté du politique sur le militaire”, devenue l’hymne des Algériens durant le Hirak. D’ailleurs, une grande amitié liait les deux intellectuels Ben M’hidi et Abane qui partageaient les mêmes idées. “Nous n’avons pas besoin d’armes mais de stratégie”, s’accordaient à dire ces deux hommes. Toutes ces vérités connues de tous, sont-elles un bon motif de censure ?  

Ben M’hidi, l’Homme…
Même si le contexte politique de l’époque prédomine dans cette fiction, la beauté de ce film est son approche humaine. Larbi est un fin stratège qui a fait trembler l’occupant français. D’une grande clairvoyance et d’une vivacité d’esprit, il a su organiser, préparer et commander les moudjahidine dans la guerre. Mais qu’en est-il de l’Homme ? Passionné de théâtre, son amour pour les planches lui fait découvrir du haut de la scène dans le public l’élue de son cœur, Malika, fille d’un notable à Biskra. Le couple vivra une idylle secrète, mais leur relation sera vouée à l’échec. Car, entre la patrie et la femme de sa vie, le choix est vite fait. Nous découvrons également sa relation avec son petit frère Hakim. “Ta place n’est pas au maquis mais à l’Université. Pour reconstruire l’Algérie à l’indépendance, il nous faudra des hommes instruits”, insistait Larbi. Très protecteur aussi avec la benjamine Drifa, ainsi qu’avec tous les membres de la famille Ben M’hidi, Larbi nourrissait beaucoup de tendresse pour ses parents. Ces moments d’intimité font découvrir un homme sensible et altruiste, qui n’hésite pas à pleurer. Oui, un homme, ça pleure ! Comme cela a été le cas à l’assassinat de son ami, son frère Didouche Mourad. Une facette de ce héros qui nous prend aux tripes et nous procure cette magie que seul le cinéma peut créer : sensation de tristesse et de bonheur, même si le spectateur sait déjà qu’il n’y aura pas de happy end. Concernant le côté artistique, il n’a rien à envier aux grosses productions internationales.

Le réalisateur a mis le paquet sur les décors, l’image, les plans, les costumes et le casting sans faille, relevé avec talent par Khaled Benaïssa (Ben M’hidi), Samir El Hakim (Boudiaf), Fethi Nouri (Didouche), Idir Benaïbouche (Belkace), Nidhal El Mellouhi (Abane), Mourad Oudjit (Bitat) ou encore Mohamed Frimehdi (Ben Khadda). Ces derniers ont été à la hauteur de leurs personnages ; comme des virtuoses, leurs interprétations étaient mélodieuses. Les moindres détails ont été étudiés dans la perfection ; de la coupe de cheveux jusqu’au style vestimentaire (que l’on retrouve sur les photos d’archives). Ce long-métrage est sans conteste l’une des plus belles œuvres historiques algériennes de ces dernières années, car tous les ingrédients qui font un bon film sont là ! Et priver le public algérien de Ben M’hidi revient à renier sa mémoire, son combat, son histoire…
 

Hana MENASRIA

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