Culture Abdelkader Djeriou, metteur en scène et comédien

“La culture n’est pas une priorité pour l’État”

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Hana MENASRIA Publié 02 Mai 2021 à 18:22

© D.R
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Rencontré au lancement de la série “Babour Ellouh” sur la plateforme Yara, Abdeklader Djeriou campe le rôle principal, celui d’un passeur de harraga. Dans cet entretien, il revient sur cette nouvelle expérience et son regard sur le secteur culturel.

Liberté : Vous êtes à l’affiche de la série événement Babour Ellouh. Pouvez-vous nous donner plus de détails ?  
Abdelkader Djeriou :
Babour Ellouh est une nouvelle expérience artistique, qui s’inscrit dans le même style qu’Ouled Lahlel. Nous avons essayé de mettre la lumière sur un phénomène répandu dans la société, à savoir la harga (migration clandestine), mais cela n’était nullement évident, car c’est un thème sensible. D’ailleurs, pour l’écriture du scénario nous nous sommes basés sur plusieurs témoignages de harraga, qui nous ont raconté leur expérience. D’autres thèmes, entre autres, sont abordés dans la série comme l’injustice, le mariage des mineures, le racisme. 
Une part belle est consacrée à la musique diwan, un genre musical qui n’est exploité ni au cinéma ni dans l’audiovisuel. Je me demande pourquoi nous n’avons jamais exploité cela. Avons-nous honte de notre culture ? Dans nos feuilletons, nous retrouvons de la musique turque, universelle, tandis que la musique locale est absente ! Je tiens à préciser que Babour Ellouh n’a pas pour objectif de donner des leçons ou de proposer des solutions ; notre rôle est d’exposer une situation, raconter une histoire et transmettre des émotions. 

Cela change des productions du genre “drama” proposées au mois de Ramadhan…
Nous avons choisi d’être près de la société et du citoyen algérien. Je pense que la différence est là, et cette prise de conscience, nous l’avons eue après la diffusion d’Ouled Lahlel. C’est une recette qui marche bien et nous avons alors travaillé dans la continuité : ce n’est pas la même histoire, mais c’est dans le même style.

Diffusée depuis le 29 avril sur la plateforme Yara (VOD), pensez-vous que le public est prêt à payer pour regarder une production algérienne ? 
Pour beaucoup de nouveaux produits, nous nous sommes posé ce genre de question, mais il faut un début, de nouvelles expériences. Avec des copains on louait des K7 pour regarder des films, après il y a eu les DVD, c’est le même principe pour cette plateforme. Concernant le prix de 500 DA (20 DA par épisode), il est symbolique ! 
Comme c’est une première en Algérie, il faut que cela soit intégré dans notre culture. Nous sommes obligés de passer par là, car la valeur de l’artiste ou de l’œuvre, c’est le ticket. 

Quel regard portez-vous sur les différents programmes proposés cette année ? 
Il y a plusieurs productions et pour tous les goûts, entre comédie et drama. Pour moi, Lyam est le meilleur feuilleton diffusé par l’EPTV ; il est bon sur le plan artistique, le casting… En fait, le drama en Algérie commence à évoluer, il y a un début et je suis optimiste. Cela permettra à de nouveaux artistes d’émerger, à l’exemple des comédiens de la série Bent Lebled, dans laquelle nous retrouvons de nouvelles têtes.

En tant que comédien, ressentez-vous de la frustration de ne pouvoir jouer à la télé que pour le mois sacré ? 
Il n’y a pas de budget ! Et cette application de VOD peut nous offrir des opportunités. Si nous arrivons à être rentables grâce à la billetterie, cela signifie que nous pouvons produire. 
À partir de là, si les comédiens attirent par exemple dix ou trente millions d’abonnés, ils peuvent devenir bankables, car les producteurs offriront de bons cachets. C’est comme cela qu’on créera une sorte de star system, même si je n’adhère pas réellement à ce concept, car je suis un prolétaire de la culture. Mais il faut créer un marché. 

Il y a quelques semaines, le ministère de la Culture a organisé un forum sur l’économie culturelle. Quel est votre avis sur ce secteur et cette initiative ?  
La culture n’est pas une priorité pour l’État ! Et je pense que cela n’a jamais été le cas en Algérie ! L’art est un métier comme tous les autres métiers, il faut juste créer le marché et nous laisser faire notre travail et être ainsi en contact direct avec notre public. Aussi, il faut créer des salles de cinéma, laisser les applications comme Yara exister, créer des cahiers des charges pour les chaînes privées… Concernant le forum, je n’y crois pas. 
Mais s’il y a une volonté, ok ! En fait, cela ne nécessite pas du génie, nous n’allons pas inventer le fil à couper le beurre. Nous n’allons rien inventer. Il faut juste mettre en place des lois. Le privé ne mettra pas de l’argent dans un film s’il n’y a pas un retour d’investissement. Mais si un marché est créé, l’investisseur sera intéressé. Il faut avoir la culture d’aller payer pour un produit audiovisuel et cinématographique.    

Les recommandations sur la réforme du théâtre ont été dévoilées en mars. Pensez-vous qu’il puisse y avoir des projets concrets ? 
Cela dépend de la volonté de l’État ! J’ai eu un conflit avec Azzedine Mihoubi, ancien ministre de la Culture, à cause du théâtre privé. 
Car c’est au privé de le créer ; le théâtre de l’État possède une fonction publique, c’est-à-dire il faut monter de grands spectacles ! 
Il n’y a aucun théâtre d’État au monde qui soit rentable ; par exemple la comédie française n’est pas rentable mais elle monte Molière pour préserver la culture française. 
Le rôle du théâtre est de préserver notre répertoire, et le théâtre d’État doit réfléchir sur comment arriver à toucher tout le public. Aussi, dans chaque théâtre il faut qu’il y ait une troupe permanente, comme celles de Alloula, de Bachtarzi… Alors qu’on demande aujourd’hui de ne pas recruter les comédiens, on ne peut faire du théâtre sans une équipe permanente de comédiens. J’espère que ces réformes vont aboutir !

Entretien recueillis par :Hana Menasria

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