Culture Akli Tadjer, écrivain

“La littérature est la seule arme contre l’oubli”

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Hana MENASRIA Publié 01 Mai 2021 à 19:05

© D.R
© D.R

Liberté : La trame du roman se déroule durant la Seconde Guerre mondiale. Pourquoi avoir choisi cette phase de l’histoire ? 
Akli Tadjer : Parce que je m’intéresse depuis toujours au sort de nos anciens. Ceux qui ont subi le pire de l’histoire coloniale. Mourir pour un pays qui n’était pas le vôtre. Mourir pour des idées qui n’étaient pas les leurs. Mourir pour une France dont ils ignoraient à peu près tout. Qu’est-ce qu’il se passait dans leur tête quand ils étaient au front ? 

Que pouvaient-ils ressentir à risquer leur vie pour une liberté qui leur était interdite dans leur pays ? Et pour ceux qui en ont réchappé à ce monde devenu fou, pourquoi ont-ils gardé le silence. 
C’est tout cela que j’ai eu envie de raconter dans D’amour et de guerre pour que les jeunes Algériens et les jeunes Français sachent l’épreuve qu’ils ont traversée. 

Les Algériens enrôlés de force par l’armée française est un thème longtemps occulté dans la littérature ou le cinéma. À votre avis cela est dû à quoi ? 
C’est vrai que c’est un thème très peu, voire pas du tout abordé dans la littérature parce que la guerre d’indépendance écrase tout. On ne veut se souvenir que de ce qui vous glorifie. Mais avant l’ivresse de la victoire et des lendemains enchanteurs qui tardent toujours à chanter, d’autres avant s’étaient aguerris au combat. 
D’autres avant avaient découvert que la France aux cent millions de sujets avait été vaincue en moins de cent jours. Et c’est ainsi que le mythe de cette France invincible s’est écroulé à leurs yeux. 

Adam, arraché à son village, se retrouve malgré lui à faire cette guerre “qui ne le concerne pas”. Comment est né ce personnage ? 
Même si c’est un roman historique, cela n’en reste pas moins une fiction. 
J’ai fait comme je pratique pour chacun de mes romans ; je prends beaucoup de notes, je me suis immergé dans l’époque, je ressens les odeurs, le pays dans lequel se passe l’histoire, puis je rentre dans la peau du personnage, comme un acteur endosserait un rôle. Durant toute l’écriture de mon roman, j’étais Adam, j’avais 20 ans, et la guerre m’avait arraché à mon village, Bousoulem, et surtout à celle que j’aimais, Zina. 

Dans son carnet rouge, il raconte les horreurs infligées à ces Nords’Af “Des pas-grands-choses”, les camps de travail, la collaboration des Maghrébins avec les nazis... Pour l’écriture de ce texte, avez-vous eu recours à un travail de documentation ?
Pour écrire une histoire comme celle-là, il faut en effet beaucoup se documenter. C’est d’ailleurs un travail – non, travail n’est pas le mot juste –, c’est de la recherche, et plus on cherche plus on trouve des choses incroyables. Comme ces frontstalags, camps de travail pour prisonniers trop exotiques dont l’Allemagne ne voulait pas chez elle. Ces camps étaient dans le nord de la France et, comble de l’horreur, ils étaient gardés par des prisonniers français. Les mêmes qui les avaient précipités dans la guerre. J’ai découvert plus en détail le fameux Mohamed Elmadi. Algérien, adorateur d’Hitler qui avait créé les brigades nord-africaines pour assister la Gestapo. Et la Mosquée de Paris, avec à sa tête le recteur Benghabrit, qui délivrait des certificats d’identité musulmane aux juifs pour qu’ils échappent à une mort certaine. Tout cela fait partie de l’histoire algérienne.

Adam se lie d’amitié avec Samuel et Tarik, respectivement futur rabbin et imam. Est-ce une manière de rappeler cette Algérie de tolérance où cohabitaient des communautés de différentes religions ? 
Je pense que l’Algérie était tolérante et respectueuse de l’Autre, c’est-à-dire des juifs qui étaient là depuis toujours. Ils vivaient en bonne intelligence autant que faire se peut et partageaient le même destin, pour ne pas dire le même sort. L’arrivée de la France coloniale à tout brisé avec le décret Crémieux, mais cela, tout le monde le sait.

Pensez-vous que la littérature est un outil pour raconter et réécrire l’Histoire, pour lutter contre l’oubli ?
La littérature est la seule arme contre l’oubli. Nous sommes faits de tout ce que nous avons lu. La littérature nous oblige à réfléchir, à nous remettre en cause et à comprendre d’où nous venons pour mieux appréhender le présent. 

D’ailleurs, dans vos romans vous questionnez le passé, à l’instar de La vérité attendra l’aurore ou encore Le Porteur de cartable.
Oui, où vais-je ? Où cours-je ? Dans quel état j’erre ? Je n’en finis pas de me questionner. C’est un peu le propre de l’homme. 


Votre livre est paru en France quelques semaines après le rapport Stora. Comment a-t-il été perçu par la critique ? Et quel regard portez-vous sur cette “guerre mémo-rielle” ? 
Les premières critiques qui m’arrivent, c’est d’abord la surprise. Car peu de Français ignorent l’histoire de ces soldats venus des quatre coins de l’empire pour mourir pour une cause qui n’était pas la leur. Il faut dire que dans les programmes scolaires il n’y a à peu près rien sur le sujet. La France a toujours eu un problème avec son histoire. On veut bien célébrer Napoléon, Louis XIV, Henri IV… mais tout ce qui dérange, circulez, y a rien à voir, rien à savoir. Concernant la “guerre mémorielle”, rien que l’intitulé fait froid dans le dos. Je crois qu’on n’en a pas fini avant que tous les dossiers soient déterrés. D’ailleurs, est-ce bien nécessaire de trouver des terrains d’entente ? Je n’en suis pas sûr. On ne raconte pas l’histoire selon que l’on soit d’un camp ou d’un autre. Heureusement qu’il y a des Algériens et des Français qui n’attendent pas les résultats de toutes ces cogitations pour créer des ponts entre eux.

Entretien réalisé par : Hana Menasria

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