Culture Samir El Hakim, comédien

“Le quatrième art agonise”

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Hana MENASRIA Publié 08 Mai 2021 à 19:16

© D. R.
© D. R.

Acteur accompli, Samir El Hakim a commencé sa carrière sur les planches, où il donnait la réplique sur des textes de Kateb Yacine. Il enchaîne ensuite au cinéma, où il arrive à se frayer une bonne place grâce à son talent. Il joue dans des films de Merzak Allouache ou dans ceux de la nouvelle génération de réalisateurs, à l’instar de Ferhani et de Sidi Boumediene. Rencontré à Alger, lors d’un iftar avec l’équipe de “Yemma”, le comédien qui a porté cette deuxième saison, grâce à son jeu, à sa prestation à la hauteur et à son charisme, revient dans cet entretien sur son personnage énigmatique, Fadel, sa participation dans ce feuilleton et sa passion pour le 4e et le 7e art.

Liberté : Dans la deuxième saison de Yemma, vous campez le rôle de Fadel Abdeldjawad. Un personnage plutôt ambigu…
Samir El Hakim : Ce personnage qui apparaît dans cette deuxième saison de Yemma a la cinquantaine. Issu d’une famille bourgeoise, il a fait ses études en Russie. Suite à un conflit avec son oncle pour un problème d’héritage, il se retrouve en prison et écope d’une peine de vingt ans. Fadel est très ambigu et déterminé ; c’est une personne qui peut être impitoyable et très douce à la fois. Il a trois objectifs dans la vie : récupérer sa fille, préserver son héritage et se venger de son oncle. Je le trouve fort, intelligent et doux.

Y a-t-il une part de Samir El Hakim chez Fadel ?
Forcément, nous injectons une part de nous dans les personnages. Cela est inévitable, car nous apportons notre sensibilité, notre expérience, notre culture… Fadel appartient à une tranche de la société que je ne connais pas, celle des bourgeois. Ces gens-là, je les connais seulement à travers la télé et les livres. Ce n’est pas mon rêve d’être riche. Cela ne me fait nullement rêver. Je possède une petite voiture et, avec mon épouse, j’habite dans un petit appartement. Au départ, à la lecture du scénario, j’ai trouvé ce personnage énigmatique, alors j’ai décidé de le travailler comme j’ai l’habitude de travailler mes rôles. J’espère avoir été à la hauteur, car je trouve ce personnage très beau dans sa complexité et dans son rythme. Je l’adore. 

Est-ce votre premier rôle dans un feuilleton ? 
C’est mon deuxième rôle dans un feuilleton télé. Il y a quinze ans, j’ai joué dans une série mais elle ne m’a pas fait rêver. Alors, j’ai quitté pour vivre ma vie, voyager, faire des choses plus excitantes et surtout m’enrichir ailleurs. À l’époque, je me disais : “Ce n’est pas grave, même si je ne deviens pas acteur, ma vie sera remplie et riche.” 
C’est un choix que j’ai pris très jeune, et je suis très heureux de cette décision. Car la vie est belle et dure à la fois, et c’est ce qui fait sa beauté. Pour Yemma, je suis très content d’être là, je ne m’y attendais pas ! En général, je suis ce genre de comédien qui fonctionne avec le désir ; quand je sens qu’il y a un réalisateur et un producteur qui me désirent, j’accepte. Aussi, sans démagogie aucune, le scénario m’a vraiment plu. 

Avez-vous suivi les autres productions ? 
Pas du tout ! Depuis vingt ans, je vis sans télé. En revanche, j’ai suivi un peu sur le net mais je ne regarde pas vraiment. Les choses qui ne m’excitent pas, je n’irai pas les voir, dans le sens où même si je suis comédien, je ne peux regarder un produit qui ne me touche pas. 

Et que pensez-vous du résultat de Yemma ? 
Je suis content. Car c’est dur d’exercer ce métier dans ce pays ; quand nous entamons et finissons un travail, c’est un accomplissement. Artistiquement, j’ai aimé beaucoup de choses mais il y a aussi beaucoup de choses qui manquent. J’espère que nous pourrons les récupérer dans les années à venir si nous possédons, bien sûr, de la volonté. Pour faire un beau travail, il faut qu’il y ait un écosystème et non pas seulement un réalisateur, un comédien mais tout un système ; un environnement qu’il faut mettre en place pour que tous les départements du métier soient à la hauteur et ce, pour faire de belles choses et aller dans l’avenir vers la perfection. 

Vous avez joué au théâtre, au cinéma et aujourd’hui à la télé. Quel secteur vous passionne le plus ? 
J’ai fait le chemin inverse (rires). J’aime beaucoup ce que je fais au cinéma ou aujourd’hui à la télé, mais je pense avoir trop tardé pour les planches. 
Je n’y suis pas monté depuis un moment, et je pense que si je devais choisir maintenant, je pencherais pour le théâtre : aller sur les planches et vivre des moments de création sur scène. 

Quel regard portez-vous sur le 4e art en Algérie ? 
Il est agonisant… et il faut le dire : le niveau est très bas, les comédiens sont faibles, il n’y a pas de bons textes, nous ne savons comment fonctionnent les institutions concernées… J’espère que la famille artistique du théâtre s’en rendra compte et qu’elle remettra ainsi les pieds sur terre. Aussi, il faut revenir à la formation ; le talent ne suffit pas et le volet scientifique est aussi important. 
Au sujet des ateliers de réformes (lancés par le ministère de la Culture en juillet dernier, ndlr), je ne peux être critique ou applaudir pour ce projet ; le jour où ils vont accomplir quelque chose on les saluera ! Nous avons été habitués aux réformes, à l’installation de commissions, je serai heureux le jour où il y aura un changement vers le meilleur. 

Le 7e art aussi connaît moult problèmes…
Ils enclenchent des initiatives après il n’y a aucune suite, c’est un mort-né dès le départ (en référence au commissariat chargé de l’industrie cinématographique, ndlr). Le cinéma, comme tous les secteurs, est agonisant ; il faut qu’il y ait une volonté, que les responsables du secteur soient sincères et qu’ils soient d’abord plus exigeants avec eux-mêmes. L’Algérie est un pays très riche, c’est un plateau cinématographique sur lequel les gens sont beaux avec leur complexité, leurs problèmes… 
Il y a beaucoup de choses à raconter dans ce pays ! Le cinéma existe depuis plus d’un siècle et nous en sommes toujours là, c’est regrettable. Les responsables n’accordent pas d’importance à la culture, je suis réaliste et la réalité est là : il n’y aucun changement sur le terrain. Alors qu’il y a de jeunes réalisateurs qui essaient de faire de belles choses. Pour parler de cinéma comme industrie, il faudrait un changement politique énorme pour instaurer un cinéma ou une tradition cinématographique.  

Entretien réalisé par : Hana MENASRIA

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