Culture Blaise Pascal Tanguy, réalisateur et producteur camerounais

“Les images véhiculées sur l’Afrique sont miséreuses”

  • Placeholder

Hana MENASRIA Publié 04 Janvier 2021 à 09:38

© D.R
© D.R

Délégué général du Festival “L’Afrique fait son cinéma à Paris”, Blaise Pascal Tanguy revient dans cet entretien sur cet évènement qui est à sa deuxième édition, ses objectifs, la place du 7e art africain dans le monde ainsi que sur son importance pour redorer l’image du continent.

Liberté : Pouvez-vous revenir sur la genèse de ce festival qui célèbre le cinéma africain à Paris ?

Blaise Pascal Tanguy : Après de multiples voyages à travers le monde où j’ai participé dans des festivals comme membre du jury ou pour présenter mes films, je me suis rendu compte que l’Afrique n’est pas très existante côté cinéma. Certes, nous avons fait beaucoup de films, mais nous ne sommes pas très visibles sur le plan mondial. Alors, avec des amis cinéastes, nous nous sommes dit : “Mettons en place une association qui nous permettrait de promouvoir et mettre en lumière le travail des cinéastes africains et afro-descendants.” Suite à cela, l’African Filmmakers Network Association est née en 2014, et depuis, nous avons réalisé pas mal de choses, notamment la promotion du cinéma africain dans les festivals et l’organisation de projections publiques. Et l’un de nos objectifs principaux est la formation. Nous effectuons annuellement des déplacements dans un pays africain pour former les enfants de la rue au métier du cinéma. Pour ces enfants qui sont quasi abandonnés, nous essayons de leur donner une chance en les formant à un métier, et ce métier est le cinéma que nous affectionnons et qui nous passionne tous. Nous avons, entre autres, mis en place pour cette année, les after work du cinéma africain et afro-descendant. Ce programme consiste en la projection de deux ou trois films le troisième jeudi du mois, dans une salle – nous avons négocié avec de grands distributeurs comme Gaumont, UGC – à l’attention du public parisien qui est assez multiculturel. Ces projections seront suivies de débats, et de dégustations de plats et boissons africains. Cela nous permettra ainsi durant toute l’année de construire un réseau assez large et de développer notre public. Il est à noter que “L’Afrique fait son cinéma” n’est pas seulement dédié aux Africains et afro-descendants. Il n’est pas communautariste, mais ouvert à tous. Nous voulons faire connaître notre culture et le cinéma africain dans le monde. À cet effet, il faut qu’on s’ouvre aux autres communautés afin qu’elles puissent mieux nous connaître à travers l’image. 

Quelle est la particularité de cette manifestation ? 

Nous proposons des films de différentes catégories : court et long métrages fiction et documentaire, des séries télé et de l’animation. Les critères de sélection sont portés sur l’histoire, la réalisation et la photographie. Cette dernière est très importante, car elle valorise nos décors et la culture de nos différents pays. En marge des projections, nous avons lancé un marché de films africain, il permettra ainsi aux chaînes et distributeurs français de s’intéresser à ce que nous faisons, de découvrir nos films et pourquoi pas les acheter et les acquérir pour leurs plateformes, notamment les chaînes télé. Nous organisons aussi le “ciné bran expérience”, dont l’objectif est de réunir dans la même soirée les chefs d’entreprise, chefs de produit, directeurs marketing et des porteurs de projets dans le cinéma. Cette démarche s’inscrit dans le but de les amener à associer leur image à nos projets par le placement de produits qui nous permet d’obtenir des financements pour nos films. 

Le festival tend à montrer le vrai “visage” de l’Afrique aux communautés africaines et étrangères. Aujourd’hui, de quelle manière est perçu le continent par la diaspora ?

Le continent africain est perçu par la diaspora comme il est ! Nous connaissons et avons une vision juste de nos pays, parce que nous y avons vécu, et nous les visitons régulièrement. C’est pour les autres que la perception est faussée. Quand je parle des autres, ce sont les communautés qui ne sont pas africaines et ne connaissent pas l’Afrique. Les images véhiculées dans les films ne sont pas toujours valorisantes. Ce sont souvent des images miséreuses. L’Afrique ce n’est pas seulement de la souffrance et des décors misérabilistes. L’Afrique a tant de choses à faire découvrir : de beaux paysages, de la belle musique, la littérature, la faune et la flore, des milliers de langues… Nous pouvons les mettre en lumière à travers le cinéma et montrer tout cela au monde entier. C’est ce que nous voulons faire découvrir à travers les films que nous sélectionnons.

La fiction ou le documentaire sont-ils la clé pour “réconcilier” les afro-descendants avec leur culture, leurs racines ?

Je ne parlerai pas de réconciliation car il n’y a pas de problème entre les Africains et les afro-descendants : nous sommes un seul peuple, nous vivons tous ensemble. Je parlerai plutôt de découverte. Par exemple, le documentaire nous permet de mieux montrer l’Afrique, notamment sa culture, et cela est très important. À travers les documentaires que nous projetons, les afro-descendants qui n’ont pas les moyens de se déplacer en Afrique voyagent grâce aux films.

Plusieurs festivals dédiés au cinéma africain sont organisés en Europe, mais sont peu visibles…

Les festivals africains en Europe n’ont pas beaucoup de visibilité. Ils ne sont pas très relayés par manque de communication et il faut avoir les moyens pour la publicité. Cela coûte cher de se faire connaître. Nous avons eu la chance, et je remercie les grands médias qui ont accepté de nous accompagner dès la deuxième édition… Ce qui nous a permis de bénéficier d’une grande visibilité. 

Malgré l’émergence de nombreux cinéastes, la production cinématographique africaine peine toujours à s’imposer. À votre avis, cette situation est due à quoi ?

Dans la plupart des pays africains, l’art a une place centrale. Mais, au 20e siècle, les politiques se sont plutôt tournés vers des questions sociales et ont mis de côté tout ce qui était lié à la culture. Ils ont donc du mal à se recentrer sur la chose culturelle. Ils pensent peut-être qu’il y a d’autres priorités. Or c’est par la culture qu’on vend un pays ! Je pense qu’il faut entrer dans les mœurs l’importance du mouvement culturel. Ce n’est pas une priorité pour beaucoup de pays, car il y a d’autres problèmes. C’est une erreur, ils devraient mettre la culture en avant et lui donner une place de choix. La culture permet de vendre un pays. Ces derniers ne devraient pas négliger le cinéma. 

Quelle est la solution pour y remédier ?

Des festivals comme “L’Afrique fait son cinéma” sont un très bon moyen pour montrer qu’il y a de belles choses qui se font. Les films et séries réalisés par les Africains et afro-descendants sont suivis et il faut investir dedans. Je pense qu’il faudrait également organiser des évènements culturels ayant un lien avec les pays africains. Par exemple, nous avons comme partenaires “Bali fait son cinéma”, un jeune festival en Centrafrique et un autre festival camerounais “La semaine du cinéma”. L’objectif de ces partenariats est de créer des liens directs avec les cinéastes africains et ceux d’ici, pour échanger et travailler ensemble. Tout en espérant que cela débouche sur des coproductions entre pays africains et européens. 

 

Entretien réalisé par : Hana Menasria 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00