Culture Merzak Allouache, réalisateur

“Pour ne pas partir et risquer la mort, il faut se sentir bien dans son pays”

  • Placeholder

Hana MENASRIA Publié 05 Octobre 2021 à 09:24

© D.R
© D.R

Merzak Allouache fait partie de ces rares cinéastes algériens à avoir décortiqué la société à travers sa jeunesse. Il passe au scalpel les problèmes, les rêves et les désillusions de plusieurs générations qui n’aspirent, depuis Omar Gatlato, qu’à vivre dans un État de droit et de liberté. Parmi ses œuvres qui sont toujours d’actualité, le film “Harragas”, sorti en 2009, dans lequel il dresse le tableau d’un groupe qui s’apprête à rejoindre clandestinement les côtes espagnoles depuis Mostaganem. Dans cet entretien, le réalisateur du “Repenti” évoque sa rencontre avec des harraga et leur désir de partir, et livre ainsi son regard sur l’Algérie d’aujourd’hui.

Liberté : Ces derniers mois, la migration clandestine a pris de l’ampleur. Après la sortie de votre film Harragas, pensiez-vous que ce fléau allait encore s’amplifier en Algérie ?

Merzak Allouache : Je n’avais aucune idée de ce qui allait se passer. En 2009, le phénomène était déjà très important, même si à l’époque les médias n’en parlaient pas ou minimisaient son ampleur.

D’ailleurs, pour la réalisation de cette fiction, vous vous êtes documenté et avez rencontré de jeunes harraga…

J’ai sillonné l’ouest du pays, accompagné par des acteurs du théâtre amateur de la région. J’ai rencontré beaucoup de jeunes, particulièrement à Mostaganem. Tous se confiaient facilement. On m’a fait visiter les plages d’embarquement. On m’a parlé du problème des “boti” (barques). L’organisation des traversées était artisanale, et se procurer des barques était compliqué car les embarcations étaient surveillées. Il y avait déjà des passeurs (que je n’ai pu rencontrer évidemment) et des tarifs imposés pour la traversée. Des harraga “refoulés” d’Espagne me racontaient leur aventure avec plus ou moins de romantisme et d’enthousiasme et s’extasiaient sur la fameuse “traversée” qu’ils avaient accomplie. Ils essayaient de me convaincre que l’Espagne était toute proche, accessible. J’écoutais sans savoir ce qui était véridique, comme l’histoire de ce manchot qui avait “brûlé”, ou ce couple qui était parti le lendemain de ses fiançailles. Les jeunes étaient intarissables sur ce phénomène qui semblait rythmer leur quotidien. Nous étions en 2009…

Cette thématique est quasi absente du cinéma algérien. À votre avis, les cinéastes devraient-ils exploiter plus cette question à travers la fiction et le documentaire ?

Ce n’est pas à moi d’en juger. Chaque cinéaste est responsable de ce qu’il traite ou ne traite pas. Notre société, depuis l’indépendance, nous a toujours offert une multitude de sujets à scénario.

Ce phénomène est-il seulement dû à des considérations économiques ou à d’autres motivations sociales ?

En 2009, lorsque j’ai tourné Harragas, et toujours dans le cadre de mon enquête, bien que je ne sois pas sociologue, j’ai bien compris que ce désir de partir – de même que pour les jeunes qui ont la possibilité de quitter l’Algérie normalement – est le résultat de la mal-vie et de l’absence de perspectives et d’un avenir meilleur. À l’époque déjà cette fameuse phrase circulait : “Je préfère être mangé par les poissons.” Ce qui explique tout.

Des observateurs ont relevé que la “harga” avait baissé durant le Hirak. L’absence d’aboutissement des revendications a-t-elle accentué cette “envie” de quitter le pays ?

Franchement, je n’en ai aucune idée. Si des “observateurs” ont relevé cela, c’est peut-être possible. Je n’ai rien lu à ce propos.

Selon vous, de quelle manière devrait agir l’État pour mettre fin à cette tragédie ?

Je suis cinéaste, j’essaie dans mes films d’évoquer les problèmes qui touchent la société algérienne, dont une grande majorité est constituée de jeunes. Les solutions pour mettre fin à cette immense tragédie ne sont pas de mon ressort. Je pense simplement que pour ne pas partir et risquer la mort il faut se sentir bien dans son pays.

Et quel regard portez-vous sur l’Algérie d’aujourd’hui ?

Le même regard que je portais sur le pays lorsque je réalisais Omar Gatlato en 1975. Je décrivais déjà une jeunesse désemparée. À la seule différence qu’il y avait une dose d’optimisme. Moi-même, j’étais optimiste et heureux en allant débattre de ce film dans des dizaines de salles de cinéma à travers le pays avec un public de jeunes, filles et garçons, enthousiastes qui évoquaient des solutions pour un futur radieux. Ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Cette année est sorti votre dernier film, La Famille, qui revient sur un ancien ministre corrompu au temps du Hirak. Y aura-t-il une projection en Algérie ?

Mon dernier film n’est pas encore sorti. Mes films les plus récents ont été principalement projetés dans les festivals à l’étranger et, comme d’autres films, ils n’ont pu être vus par les Algériens. C’est pour moi une immense frustration. Mais je continue, tant que je peux, à tracer ma route en me disant que mes films serviront peut-être d’archives pour les générations futures.

 

Porpos recueillis par :  Hana Menasria 

  • Editorial Un air de "LIBERTÉ" s’en va

    Aujourd’hui, vous avez entre les mains le numéro 9050 de votre quotidien Liberté. C’est, malheureusement, le dernier. Après trente ans, Liberté disparaît du paysage médiatique algérien. Des milliers de foyers en seront privés, ainsi que les institutions dont les responsables avouent commencer la lecture par notre titre pour une simple raison ; c’est qu’il est différent des autres.

    • Placeholder

    Abrous OUTOUDERT Publié 14 Avril 2022 à 12:00

  • Chroniques DROIT DE REGARD Trajectoire d’un chroniqueur en… Liberté

    Pour cette édition de clôture, il m’a été demandé de revenir sur ma carrière de chroniqueur dans ce quotidien.

    • Placeholder

    Mustapha HAMMOUCHE Publié 14 Avril 2022 à 12:00