C’était l’ultime acte d’une révolution triomphante. Probablement, le plus risqué de l’histoire de libération nationale parce qu’il allait sceller définitivement la fin de la longue nuit coloniale. La signature des Accords d’Évian, le 19 Mars 1962, au terme d’interminables négociations devant aboutir à l’indépendance de l’Algérie, représente tout ce qu’il y avait de plus intelligent dans cette période meurtrière. Une intelligence incarnée par un groupe de jeunes militants indépendantistes conduit par le vaillant Krim Belkacem. Rompu à la lutte armée, le colonel de la Wilaya III, qui a pris le maquis dès la fin des années quarante, s’est révélé un fin négociateur, un diplomate hors normes.
L’homme qui faisait trembler les maquis savait aussi, et avec aisance, tenir face aux plus redoutables négociateurs de l’empire colonial. Il n’avait rien cédé. Il n’a pas non plus cédé. Vent debout, sa main était ferme, quand il appose sa signature sur le document actant le cessez-le-feu. Krim venait ainsi de signer le véritable acte de naissance contemporaine de la République algérienne dans sa souveraineté pleine et entière.
Alors que reposait sur lui une responsabilité historique sans commune mesure, et surtout soumis à une immense et double pression – algérienne et française –, l’enfant d’Aït Yahia Moussa avait courageusement assumé. Sans trembler. Avec ses compagnons, Bentobal, Malek, Benyahia, Boulahrouf, Dahleb, Yazid, Mostefaï, celui qui fut l’un des six historiques fait entrer l’Algérie dans le concert des nations avec arme et diplomatie. Charismatique, fort de son parcours exceptionnel, jouissant d’une double légitimité militaire et diplomatique, Krim Belkacem était le leader naturel devant présider aux destinées de l’Algérie indépendante. Mais quand il rentre à Alger, le pays sombre aussitôt dans une nouvelle guerre.
L’épopée tourne au tragique. Les planqués des frontières braquent leurs armes — toutes neuves — contre les maquisards et s’emparent du pouvoir avec violence. Le négociateur en chef de l’indépendance devient, dans un incroyable retournement historique, un ennemi vite conduit au tribunal de l’antinational. Sa fin tragique illustre tragiquement la défaite morale d’une nation qui n’a pas su être reconnaissante à ses enfants les plus dignes. Cinquante-neuf ans après, cette nation se cherche encore tout en continuant d’accumuler échecs et blessures. Une malédiction à laquelle la jeunesse de Février veut mettre un terme. Une seconde révolution qui répare et renoue le fil avec Krim.