Depuis des jours au Soudan, englué dans la crise politique et économique après le putsch du général Abdel Fattah al-Burhane, le 25 octobre, sur les réseaux sociaux, les militants ne cessent d'annoncer “la tempête du 6 avril”.
Les grenades lacrymogènes pleuvaient hier face à des manifestants et même des médecins au Soudan où les antiputsch veulent marquer un double anniversaire : celui de deux révoltes qui, à 34 ans d’écart, ont fait tomber deux présidents putschistes.
Plusieurs milliers de manifestants sont déjà sortis dans l’Est côtier ou dans le Darfour, région de l’Ouest ravagée par les guerres, aux cris de “Non au pouvoir militaire” et “Le peuple a choisi les civils”, ont rapporté des témoins sur place à l’AFP. Mais en cette journée de ramadan, décrétée fériée par le pouvoir militaire et sous une chaleur écrasante, à Khartoum, les défilés étaient encore timides.
Épars, ils ont malgré tout été accueillis par des salves de grenades lacrymogènes, ont raconté des témoins à l’AFP.
Alors que d’autres membres des forces de sécurité “ont pris d’assaut l’hôpital Al-Jawda” à proximité, tirant là aussi des grenades lacrymogènes et “provoquant des problèmes respiratoires chez des médecins et des patients”, indique de son côté un syndicat de médecins prodémocratie.
Depuis des jours au Soudan, englué dans la crise politique et économique après le putsch du général Abdel Fattah al-Burhane, le 25 octobre, sur les réseaux sociaux, les militants ne cessent d’annoncer “la tempête” ou “le séisme du 6 avril”.
Ils veulent, disent-ils, en finir avec les généraux – quasiment toujours au pouvoir en 66 ans d’indépendance – et surtout la vie chère, avec une livre soudanaise en chute libre et une inflation à plus de 250%.
“Avril, mois des victoires”
Or, “Avril est le mois des victoires pour les Soudanais”, s’enthousiasme déjà Jaafar Hassan, des Forces de la liberté et du changement (FLC), coalition civile anti-Béchir qui n’a cessé de se diviser après avoir conquis sa place au gouvernement en 2019 – jusqu’à voler en éclats avec le putsch.
Le 6 avril 1985, la rue poussait l’armée à évincer le président Jaafar al-Nimeiri, lui-même un officier. Le 6 avril 2019, la foule entamait un sit-in et forçait encore une fois les généraux à mettre, quelques jours plus tard, un point final à 30 ans de dictature du général Omar el-Béchir.
Trois ans plus tard jour pour jour, “on veut dégager les putschistes et ne plus jamais vivre de coup d’État”, explique à l’AFP Badoui Bachir, qui manifestera en fin d’après-midi à Khartoum où les autorités ont fermé dès mardi soir les ponts menant vers les banlieues, comme à chaque mobilisation.
Des troupes étaient également postées aux abords du siège de l’armée et du palais présidentiel, les deux QG du général Burhane, qui concentrent la fureur populaire. “Plus de cinq mois après, ce putsch n’a rien créé et a même allumé des incendies partout, plongeant le pays dans la crise”, affirment mercredi les FLC.
Depuis octobre, la répression des anti-putsch a fait 93 morts et des centaines de blessés, les rafles de militants continuent et avant même les défilés de mercredi, Washington a appelé à “ne pas recourir à la violence” et à “punir les responsables d’abus”. En rétorsion déjà, l’État a perdu toute son aide internationale - soit 40% de son budget.
Depuis, dans le pays - l’un des plus pauvres au monde brièvement sorti de décennies d’embargo après la chute de Béchir -, le prix du pain a flambé, celui de l’électricité a été multiplié par six et celui de l’essence ne varie désormais plus d’un jour à l’autre, mais d’une heure à l’autre. D’ici à fin 2022, estime l’ONU, près de la moitié des 45 millions de Soudanais seront en insécurité alimentaire.
En parallèle, le putsch a entraîné un vide sécuritaire, qui a favorisé pillages, conflits tribaux, attaques armées et viols dans différentes régions que la transition démocratique devait sortir de la violence.
Le général Burhane, lui, continue de soutenir qu’il ne “remettra le pouvoir qu’à une autorité de confiance et élue qui conviendra à tous”.
Et s’il a salué mardi une initiative de dialogue lancée par ses alliés ex-rebelles, il menace de manière de plus en plus tonitruante d’expulser l’émissaire de l’ONU qui plaide pour des négociations et un retour au partenariat militaires-civils.
En face, chez les civils, l’idée d’une nouvelle alliance avec les militaires a fait long feu. En juin 2019, alors que les pro-démocratie voulaient un pouvoir civil et non les généraux qui avaient remplacé Béchir, des hommes en treillis avaient tué au moins 128 manifestants. “Nous avons essayé le partenariat avec les militaires et il a échoué, nous ne ferons pas deux fois la même erreur”, affirme M. Hassan, des FLC.
AFP