Magazine Au berceau des talibans, la majorité a déserté les rues

À Kandahar, des femmes résistent et travaillent dans l'angoisse

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AFP Publié 09 Octobre 2021 à 19:51

À Kandahar, les femmes ont déserté la vie publique. © D. R.
À Kandahar, les femmes ont déserté la vie publique. © D. R.

Les  souvenirs  de  plomb  des  années  1990,  lorsque  les  talibans empêchaient les femmes de travailler, d'étudier ou de sortir seules ou sans burqa, ont suffi pour que les femmes désertent les longues avenues commerçantes.

À Kandahar, berceau des talibans, les femmes ont quasiment déserté les rues depuis le retour au pouvoir des fondamentalistes à la mi-août. Sauf Fereshteh, Fauzia et d'autres, qui défient l'angoisse pour continuer à travailler ou étudier. 

Fereshteh et Zohra ont à peu près le même âge, 23 et 24 ans, et la même peur ces jours-ci: qu'un taliban surgisse face à elles dans la rue et les défigure en leur jetant de l'acide au visage, pour leur passer l'idée d'aller en cours. 

Depuis leur retour au pouvoir mi-août, les talibans ne s'en sont pas pris physiquement aux femmes qui étudient ou travaillent à Kandahar, selon des témoignages concordants. Et la dernière attaque à l'acide répertoriée contre des écolières ou étudiantes dans la ville date de plus de 12 ans.

Mais les souvenirs de plomb des années 1990, lorsqu'ils empêchaient les femmes de travailler, d'étudier ou de sortir seules ou sans burqa, ont suffi pour que les femmes désertent les longues avenues commerçantes et poussiéreuses, où la très conservatrice culture locale les faisait déjà rares. 

Les seules visibles ces jours-ci sont des ombres en burqa qui hâtent le pas entre deux magasins, sacs de courses à la main. “Avant on était heureuses de venir travailler, maintenant on est stressées”, explique à l'AFP Fereshteh Nazari, directrice de l'école pour  filles Sufi Sahib à Kandahar. “Dans la rue, les talibans ne nous disent rien, mais on voit qu'ils nous regardent de travers”. 

On ne va plus nulle part
“Dans son école, la plupart des parents n'envoient plus leurs filles à l'école après 10 ans, car ils ne les sentent plus en sécurité dans cette  société”. Ce jour-là, 700 filles sont à l'école, contre 2500 normalement.

“À part les courses, qu'on fait très rapidement, on ne va plus nulle part, on rentre chez soi très vite”, confirme Fauzia, une étudiante en médecine de 20 ans qui préfère taire son vrai prénom par souci de sécurité. Quand les hommes, eux, prennent leur temps de discuter ensemble pendant des heures, sur le trottoir ou dans les restaurants ou bars à chicha. 

Zohra, une étudiante en mathématique qui utilise aussi un prénom d'emprunt, a décidé de ne plus aller en cours, comme plusieurs de ses amies, après les rumeurs de possibles attaques à l'acide, venues d'on ne sait où.

Elle préfère ne prendre aucun risque. “Pour moi, la vie est plus importante que tout le reste”, dit-elle. Mais d'autres n'ont pas ce luxe, comme Fereshteh et ses collègues professeures, qui attendent de toucher leurs salaires gelés depuis l'effondrement du précédent gouvernement, il y a presque deux mois.

“On va peut-être finir par devoir aller mendier au marché”, soupire la jeune directrice, brune aux grands yeux noirs soulignés de khôl, qui porte sur ses cheveux un foulard noir brodés de sequins brillants. “Il n'y a plus d'argent. Mon mari n'a plus de travail, et je dois nourrir nos deux enfants”, explique une collègue professeure de Fereshteh qui préfère taire son prénom et se dit, comme beaucoup de femmes de la ville, “en dépression”. 

C'est leur problème
Fauzia est dans une situation alarmante. Orpheline, elle est chargée de nourrir ses quatre frères et soeurs de 13 à 17 ans. Elle travaillait jusqu'à août dans une radio locale, où elle prêtait sa voix à des publicités. “Mais après avoir pris la ville, les talibans ont posté des messages sur Facebook disant qu'ils ne voulaient plus de musique ou de voix de femmes à l'antenne”, explique un des directeurs de la radio. “On a arrêté, et c'est dommage, car les voix de femmes marchent mieux pour attirer l'attention du public”, dit-il. 

Depuis, Fauzia a déposé son CV dans toute la ville, notamment pour des postes de professeur. Mais tout semble bloqué, sans réponse. “On me dit d'attendre”, dit-elle. “Mais ça devient désespérant, car les talibans ne disent rien de plus...”. 

Les fondamentalistes se défendent officiellement de vouloir revenir à leur régime de fer des années 1990. “Nous n'avons rien interdit aux femmes”, affirme le mollah Noor Ahmad Saeed, l'un des responsables talibans dans la province de Kandahar, encore plus conservatrice que la ville. 

“Si elles ne se sentent pas en sécurité ou ne retournent pas au travail, c'est leur problème”, déclare-t-il, visiblement peu ému par leur sort. “Les talibans, qui suivront ‘les règles de l'islam’ avant tout, continuent d'étudier le sujet”, ajoute-t-il, sibyllin. 

Fauzia voit la pression sociale monter jusque chez elle. “Mon petit frère, lui-même, me dit de me couvrir le visage, de ne plus voir d'amis, de n'aller nulle part à part en cours”. 

Dans la cour de l'école, une élève de Fereshteh, Shahzia, 12 ans, regrette le temps de l'ancien gouvernement, qui avait beaucoup promu l'éducation des filles. “On veut de la liberté”, dit-elle, mais en réalité, “on devra faire ce qu'ils nous diront, sinon on aura des problèmes”. 
 

Par :  Emmanuel DUPARCQ 

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