Magazine Jour de grâce pour les uns, jour de deuil pour les autres

Thanksgiving, la fête qui divise l’Amérique

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AFP Publié 28 Novembre 2021 à 09:11

Le Jour de deuil national a lieu à Plymouth, Massachusetts, pour honorer les victimes du génocide contre les communautés autochtones.. © D.R
Le Jour de deuil national a lieu à Plymouth, Massachusetts, pour honorer les victimes du génocide contre les communautés autochtones.. © D.R

Se plonger dans ce mythe fondateur des États-Unis, c’est lever le voile sur l’un des premiers chapitres douloureux de la colonisation européenne du Nouveau-Monde. Pour les Amérindiens, cette fête est un jour de deuil, en souvenir des millions de leurs ancêtres massacrés par les colons européens.

À l’automne 1621, une poignée de pèlerins anglais et d’Amérindiens partagent leur premier Thanksgiving à Plymouth, près de Boston : 400 ans après, leurs descendants américains ont célébré jeudi la fête mythique des États-Unis, mais qui est un “jour de deuil” pour les derniers Amérindiens de la région. Pour des dizaines de millions de familles américaines, la tradition de Thanksgiving est un repas traditionnel ayant lieu le quatrième jeudi de novembre, avec ses incontournables dinde farcie, purée de pomme terre et sauce à la canneberge. 

Mais se plonger dans ce mythe fondateur des États-Unis – décrété jour férié par Abraham Lincoln en 1863 –, c’est lever le voile sur l’un des premiers chapitres douloureux de la colonisation européenne du Nouveau-Monde. Un événement historique dont le récit est contesté par des peuples indigènes amérindiens, à l’instar de la dénonciation de la “découverte” de l’Amérique par Christophe Colomb en 1492. Pour ce 400e anniversaire de Thanksgiving, la bourgade de Plymouth, dans le Massachusetts, typique de la Nouvelle-Angleterre au bord de l’Atlantique, a été le théâtre jeudi de deux manifestations : l’une folklorique et un brin désuète par des descendants de colons anglais, l’autre vindicative et militante par des Amérindiens du peuple Wampanoag installés là depuis 12 000 ans.

Mythique Mayflower 
La population de Plymouth, blanche et protestante, a rejoué en costume et au son du tambour une procession religieuse qui s’est terminée par la lecture de la Bible dans le cimetière qui domine la ville. Une cinquantaine de “pèlerins” de 2021 ont récité des psaumes à la mémoire de leurs 102 ancêtres arrivés sur cette côte glaciale, en novembre 1620, à bord du mythique navire Mayflower. Pour le révérend Paul Jehle, descendant des “pères pèlerins” anglais, la procession de Thanksgiving lui permet de “revivre la foi” chrétienne de ses ancêtres qui les avait poussés à traverser l’Atlantique. “C’est important à préserver car ce sont leurs croyances qui les ont amenés ici et qui ont tant influé sur l’Amérique”, explique-t-il à l’AFP. 

Dans cette première colonie de Plymouth, le terrible hiver 1620-21 emporte la moitié du groupe d’Anglais, et 90 Wampanoags emmenés par leur chef Massasoit sauvent de la famine la cinquantaine de survivants en leur apprenant la pêche, la chasse et la culture du maïs. D’après le récit écrit de deux témoins de l’époque, Edward Winslow et William Bradford, la première récolte réussie de l’automne 1621 donne lieu à un repas de trois jours et à une alliance entre les Wampanoags et les pèlerins. C’est Thanksgiving, l’Action de grâce. 
 
Images d’Épinal 
Cette rencontre harmonieuse entre “colons” et “indigènes” est mise en scène à partir du début du XIXe siècle sur de grandes peintures classiques exposées au Pilgrim Hall Museum de Plymouth. Des représentations complètement “fausses”, reconnaît la directrice du musée, Donna Curtin. Mais ces images d’Épinal enragent les Amérindiens du nord-est des États-Unis. Depuis 1970, l’organisation United American Indians of New England (UAINE) crie sa colère contre Thanksgiving, lors d’une “journée nationale du deuil”, au pied de la statue du chef Massasoit qui trône sur la colline de Plymouth, face à l’océan. Pour sa représentante Kisha James, “Thanksgiving est le jour du souvenir des millions de nos ancêtres tués par des colons européens qui n’avaient pas été invités”.
 
Génocide 
“Les Wampanoags ont accueilli les pèlerins et les ont sauvés de la famine. Et qu’ont-ils obtenu en échange de leur gentillesse ? Un génocide, le vol de nos terres, l’esclavage, la famine et une oppression sans fin”, a tonné la jeune militante, sous les applaudissements de quelques centaines de partisans qui ont défilé dans la ville. Pour Miciah Stasis, une Amérindienne de 21 ans, qui arbore un masque “Make America Native Again”, “l’Holocauste, le 11-Septembre sont des événements dramatiques de notre histoire, mais on oublie qu’il est arrivé la même chose sur la terre du peuple” wampanoag. 

Des historiens s’accordent à dire qu’après quelques années de paix un premier conflit oppose de 1636 à 1637 des colons anglais à des Amérindiens Pequots, avant que la “guerre du Roi Philip” en 1675-76 décime une partie des Wampanoags. Le pasteur Paul Jehle pense que les descendants américains des Anglais protestants “ont reconnu que les choses avaient mal tourné depuis la première moisson (de 1621) et que les indigènes avaient été maltraités”. Donna Curtin, de son côté, “continuera de célébrer ce jour”, tout en rappelant qu’il est “le reflet du prix énorme payé par une autre culture il y a quatre siècle et depuis lors”. Selon le musée “Plimoth Patuxet” qui a reconstitué sur un même site des villages amérindiens et anglais, il ne reste que 10 000 Wampanoags dans la région face à “30 millions de descendants” des pèlerins anglais disséminés aux États-Unis, au Canada et en Europe. 

 


AFP

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