Reportage À LA FORCE DE LEURS BRAS, LES HABITANTS SONT ALLÉS CHERCHER DE L’EAU À 7 KM SUR UN RELIEF ESCARPÉ

ATH KOUFFI, JUSQU’AU BOUT DE LA SOURCE

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Ghilès O. Publié 18 Juin 2021 à 20:30

© D.R.
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Dans un élan de solidarité et  d’entraide tirant  sa sève des traditions séculaires, la population de ce village haut perché dans le Djurdjura se mobilise comme un seul homme depuis plusieurs semaines, pour réaliser un captage d’eau devant alimenter les ménages.

Confrontés, à l’instar de toutes les localités de la wilaya de Tizi Ouzou, à une crise d’eau potable, la population d’Ath Kouffi, qui est déjà rompue à ne plus compter sur les autorités pour améliorer son cadre de vie, a encore une fois décidé de prendre son destin en main et de s’attaquer à un titanesque projet consistant à transférer les eaux du Djurdjura vers sa localité, qui compte 10 000 habitants. Peu avant 8h, en cette journée caniculaire de la mi-juin, dans cette vaste contrée située au pied du Djurdjura, l’effervescence est déjà à son comble. Le mercure indiquait déjà 34°C à l’ombre, mais des centaines de personnes étaient rassemblées sur la place du village. “Il ne s’agit ni d’une manifestation ni encore moins d’un rassemblement pour fermer le siège de l’APC ou couper un quelconque axe routier”, ironise un jeune homme, accosté devant un café maure en train de siroter un café. “Il s’agit d’un volontariat pour réaliser le projet d’acheminement de l’eau potable à partir de la source Tinzerth – les deux narines – qui coule des fins fonds du Djurdjura”, explique, fièrement, Zoheir Mameri, un membre de l’exécutif communal de l’APC de Boghni, qui compte parmi les initiateurs de ce projet.

À peine quelques minutes, et c’est toute une procession de jeunes qui emprunte le chemin escarpé menant vers le lieu du raccordement des conduites. Certains tirent à bras de force les tuyaux et d’autres s’entraident pour soulever les énormes rouleaux pour défaire et dérouler les 200 m de tuyaux qu’ils contiennent. De loin, l’on croirait une véritable armée mobilisée pour achever un projet urgent en temps de guerre. “Il faut voir comment nos jeunes sont engagés dans les travaux. Imaginez que des centaines de tuyaux d’une longueur de 200 mètres linéaires et de diamètre de 110 cm sont transportés sur les épaules tout le long de l’itinéraire escarpé de cette haute montagne, au milieu de grands rochers et des maquis fortement boisés où les engins ne peuvent passer. Parfois, nous nous retrouvons sur les lieux jusqu’à 300, voire 400 personnes”, souffle un jeune homme, sous le poids d’un rouleau de tuyaux. Abondant dans le même sens, Lakhdar Derriche, un habitant d’Ath Kouffi, résidant à Boghni, explique qu’à la dernière étape avant l’enfouissement de la tuyauterie la mobilisation a été si grande que le dernier de la chaîne ne trouvait pas de place pour se charger d’une quelconque tâche. Rien d’étonnant, à vrai dire, lorsque l’on apprend que la route que nous avons empruntée pour se rendre dans ce patelin a été elle aussi élargie, sur une longueur de 8 km, grâce à la mobilisation citoyenne en 2015 et 2016. “Même nos femmes ont adhéré pleinement au projet. Elles sont une partie prenante de cette idée géniale”, précise-t-il. Avant le départ des volontaires vers Tinzerth, des femmes, chargées de paniers pleins de gâteaux traditionnels, de café, de lait, de thé et bien sûr de plats de couscous, arrivaient en effet sur les lieux. “Les repas sont préparés par les femmes du village, une manière pour elles de soutenir les hommes et de contribuer, ainsi, au projet”, explique M. Derriche, non sans préciser que dans cette région de Boghni ce transfert est qualifié par les habitants de “projet du siècle” et qu’aucun bras n’est alors de trop. Seulement, Zoheir Mammeri tient à préciser qu’aucune organisation ne chapeaute ce projet. “C’est une idée spontanée puis discutée entre citoyens du village avant d’être diffusée sur les réseaux sociaux. Il s’agit, donc, d’une action citoyenne et villageoise, ou de ce qu’on appelle dans nos valeurs ancestrales thiwizi”, dit-il. “C’est une organisation qui n’a pas de tête, tout comme le Hirak. C’est pour cela que l’idée sitôt germée a eu les résultats escomptés et est aujourd’hui ancrée dans les esprits”, tranche, pour sa part, Lakhdar Derriche, précisant que ce projet qui tient à cœur aux habitants de l’âarch n Ath Kouffi est, à vrai dire, déjà à sa neuvième étape. “La pose de la tuyauterie est achevée”, explique un homme, qui semble diriger les travaux. 

Selon les explications fournies par ce dernier, le projet consiste en la pose d’une double conduite d’AEP de 7 km de longueur chacune, venant en parallèle de la source Tinzerth jusqu’au réservoir du village, dont la capacité est de 500 m3. “Dès que nous avons constaté un engouement sans précédent et une adhésion massive à notre idée, nous avons alors mis la machine en branle pour concrétiser cette idée ayant germé au sein du groupe depuis déjà plusieurs années”, explique-t-il, soulignant que le projet était longtemps confronté à un problème de financement. “Il fallait donc trouver la source de financement, et après plusieurs rencontres, nous avons finalement convenu de fixer une participation de 5 000 DA par livret de famille. Cela a été adopté par l’ensemble des villageois. Notre population s’élève à environ à 8 000 habitants”, relate Rachid Mameri.  Pour aller de l’avant au plus vite, les représentants de tous les quartiers ont pris la charge de collecter l’argent auprès de leurs concitoyens. “Eu égard au stress hydrique annoncé déjà par les autorités et les restrictions attendues notamment durant cette saison estivale, nous avons voulu anticiper l’évolution de la situation et surtout agir rapidement”, argumente notre interlocuteur. La diaspora de cette localité n’est pas restée en marge de ce projet, car leur apport financier est des plus considérables, affirment les villageois. L’APC a promis de contribuer à sa manière et selon ses moyens pour la concrétisation de ce projet qui soulagera la population d’Ath Kouffi. Dans cette région, d’aucuns étaient convaincus que le raccordement du village à cette source sera salvateur. “Déjà, nous ne recevons plus la quantité pompée avant la crise. Justement, peu avant la mise en exécution des restrictions, nous recevions 2000 m3. Cette quantité n’est plus que de 500 m3 à présent, donc insuffisante pour répondre aux besoins de toute la population, et elle risque encore de baisser davantage. Alors nous ne pouvions rester les bras croisés”, considère un habitant assurant que le projet n’est pas loin d’entrer en exploitation. “À présent, il est attendu que le bureau d’études engagé pour le suivi du projet se prononce sur certains aspects techniques avant l’enfouissement des deux conduites, après évaluation de toutes les tâches déjà accomplies”, affirme Zoheir Mameri, avant de donner de nombreuses précisions sur cette source de Tinzerth, située à 900 m d’altitude et à quelque 500 m au sud du village Ath Ali. Ce nom – Tinzerth – dit-il lui a été donné en raison de la forme de ses deux cavités naturelles qui ressemblent étrangement à deux narines. L’une des deux narines laisse couler une eau saumâtre et son degré de salinité augmente sensiblement en été à cause de la baisse de son débit, alors que de l’autre narine jaillit de l’eau douce fraîche en été et tiède en hiver, pour suit-il.

Selon nos interlocuteurs, une étude a mesuré son débit en période d’étiage à 425 l/s (litres par seconde). Ses eaux alimentent, expliquent-ils encore, les deux centrales hydroélectriques d’Ighzer n’Chevel et de Tala Ullili depuis l’époque coloniale. “C’est une source très importante. Même si elle alimenté déjà les deux villages d’Ighzer n’Chevel et Ath Ali depuis des années, son débit n’a pas été altéré en dépit de la faible pluviométrie constatée ces dernières années”, affirme-t-il, estimant son débit à environ 13 et 14 l/s. “Cela nous donnera au bout du compte environ 1100 m3/j. Ce sera suffisant pour parer à une éventuelle rupture de l’alimentation en eau potable de notre village à partir du  barrage Koudiat Acerdoune de Bouira, dont on dit déjà qu’il est presque à sec. Et puis, n’oublions pas l’excellente qualité de l’eau de cette source qui jaillit directement du Djurdjura”, détaille-t-il encore. Quant à la réparation de l’eau, notre interlocuteur précise que les conduites réalisées alimenteront le réservoir principal d’Ath Kouffi qui alimentera à son tour équitablement les trois autres réservoirs de moindre importance. 

Ce projet titanesque constitue désormais la fierté de la population d’Ath Kouffi qui se prépare déjà à célébrer cet événement qu’elle qualifie d’unique en son genre. “Nous avons réussi en quelques jours à réaliser un projet que l’État aurait mis des années à concrétiser en raison notamment des procédures administratives et bureaucratiques souvent lentes”, dira un des participants aux volontariats. Dans leur élan, les habitants, qui ont déjà réalisé plusieurs projets de développement avec leurs moyens financiers et grâce à leur solidarité, n’ont pas encore achevé ce projet que voilà qu’ils se fixent déjà d’autres défis à relever. “Nous envisageons aussi d’aménager le sous-sol du bureau postal en foyer pour jeunes et aussi l’engazonnement en pelouse synthétique de notre aire de jeux pour développer l’activité sportive dans notre localité”, annonce un des volontaires, souhaitant que la fibre optique ne tarde pas à arriver à Ath Kouffi. 

Dans cette région qui a sacrifié 375 de ses enfants pendant la guerre de libération mais qui fait partie, depuis l’indépendance, des régions qui accusent un retard énorme en matière de développement, la population qui, de surcroît est constamment confrontée aux durs aléas de la nature, ne compte désormais que sur la solidarité de ses membres pour prendre en charge ses préoccupations et relever le défi du développement local. 
 

Par : O. GHILÈS

 

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