Reportage La ferme Saint-Jean (HAMMAM BOU HADJAR)

De jardin fleuri…à zone d’ombre

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M. LARADJ Publié 02 Mars 2022 à 10:50

© Liberté
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L’absence d’aménagement des routes dans cette localité est à l’origine de la dégradation de l’environnement, puisqu’elle encourage les jets d’ordures ménagères et de déchets solides de façon anarchique, au détriment de la santé des riverains.

Il y a soixante ans, l’ex-ferme Saint-Jean était un merveilleux havre de paix, un paradis sur terre avec ses jardins fleuris et bien entretenus. L’endroit est situé à 2 kilomètres à peine à l’est de la ville de Hammam Bou Hadjar. On disait que son propriétaire, un grand producteur de vin, était un inconditionnel de la belle architecture. Toutes les belles maisons de maître qu’il avait construites se distinguaient par leurs ornements. Au centre de cette bourgade se dressait une scène de théâtre en plein air. Elle était utilisée à la fin des vendanges. On y organisait  des kermesses et des animations, histoire de fêter la belle récolte. Des bals étaient régulièrement programmés. Des conditions qui assuraient la prospérité des quelques familles qui y habitaient. L’endroit était entouré de vastes parcelles de vigne à perte de vue qui participaient au développement de Hammam Bou Hadjar, la cité des bains. 

L’on se rappelle que tellement impressionné par ce qui restait de cet “éden”, un ex-wali aurait même eu l’idée d’en faire une auberge de jeunes digne de ce nom. Que reste-il de ce paradis ? Un ensemble de vieilles habitations, pour ne pas dire des taudis, que des mains malveillantes ont tout simplement détruites. Un groupement d’habitations qui contraste malheureusement avec la beauté de la cité coloniale aux mille villas alignées et pleines de charme, l’ancienne Ad Dracones, Hammam Bou Hadjar. Après l’indépendance l’endroit a été repris par des familles algériennes, des fellahs principalement, qui lui donnèrent une nouvelle appellation : ferme Bendella-Baroudi. Forcés à l’exode rural, ces derniers ont dû abandonner les lieux durant la décennie noire pour se réfugier ailleurs. L’endroit fut alors occupé par d’autres nouveaux venus de divers horizons. Et ce fut le début de la détérioration qui a fait de cette bourgade une zone d’ombre. 

En allant vers la commune d’Aïn El-Arba, à droite, un panneau de signalisation sur lequel est transcrit le nom “Firma” (la ferme), comme aiment à le prononcer les Bouhadjariens. Il indique la direction que nous devons emprunter. Pour y arriver, il faut parcourir presque 2 kilomètres sur une piste, goudronnée certes, avant de découvrir le désastre qui se dresse devant nous, à l’entrée de ce qui reste de ce coin jadis bleu…. Et pour cause, nous avons été accueillis par une meute de chiens ! Nous avons dû notre salut qu’à un groupe d’enfants qui jouaient aux billes, leur jeu favori, en attendant mieux. 

La piste goudronnée que nous avons empruntée s’arrête juste à l’entrée de la ferme Bendella-Baroudi. Ce qui nous oblige de continuer notre chemin sur une piste pas du tout carrossable. Les conditions climatiques en ce mois de février, avec le retard des chutes de pluie, et le climat printanier nous ont évité de patauger dans la gadoue. Mais il faut imaginer dans quel état se trouvent ces pistes que les habitants empruntent en cas de chutes de pluie, particulièrement les enfants qui doivent rejoindre chaque jour les bancs de l’école et dans l’obscurité en hiver.  Les premiers interlocuteurs rencontrés sur notre chemin sont deux maçons qui nous demandent qui nous sommes et l’objet de notre présence. 

Sans hésiter, leurs langues se délient comme s’ils attendaient une telle opportunité pour “cracher” le calvaire que les habitants du douar Bendella-Baroudi endurent depuis des décennies. Ils commencent par nous montrer le tracé du réseau de gaz de ville dont les habitants viennent de bénéficier tout récemment, mais auquel malheureusement nombre d’habitations n’ont pas été raccordées pour des raisons purement techniques avancées par les services de Sonelgaz, selon leurs déclarations. Informés de notre présence, des pères de famille se joignent à la discussion, animés d’une volonté d’y participer. “Nous en avons gros sur le cœur. Votre présence est une occasion pour nous de réitérer nos préoccupations”, nous dit l’un d’eux. 

Sans toutefois nier les efforts consentis par les autorités locales depuis pour améliorer leur cadre de vie avec la réalisation des réseaux d’AEP, d’électricité et d’assainissement, nos interlocuteurs préférèrent nous accompagner à travers cette zone d’ombre pour que nous constations, de visu, l’ampleur de leur calvaire : “Bien que le réseau d’éclairage public existe, cela fait dix jours que nous attendons la lumière en raison d’une panne qui perdure... L’eau ne coule dans les robinets qu’un jour sur trois, voire sur quatre, alors en été c’est pire...”

Arrivés près de la centaine d’habitations rurales, couleur rouge brique, construites depuis quelques années, nous sommes surpris par tous ces câbles, amenés de façon anarchique sur une distance de 200 mètres pour alimenter en électricité le village. Cet enchevêtrement de câbles - qui enlaidissent le douar - présente un réel danger, en ‘‘l’absence d’un raccordement électrique réglementaire, mais aussi de l’éclairage public dans cette partie du douar, au point qu’il est difficile de s’y aventurer à la tombée de la nuit’’, précise un habitant. 

En face, un grand espace sépare les deux îlots d’habitations rurales dont une partie, exploitée comme terrain de proximité, est revêtu de gazon synthétique. ‘‘C’est l’unique satisfaction pour de nombreux jeunes, mais c’est très insuffisant car les moyens de distraction ne se limitent qu’aux seules rencontres de football.” “Une maison de jeunes serait la bienvenue’’, rétorque une voix. Non loin de là, des enfants s’adonnent à leur jeu favori : les billes, tout près d’un tas d’immondices aux odeurs nauséabondes. ‘‘Ces enfants ne méritent-ils pas un meilleur sort, identique à celui de leurs pairs des grandes cités ?”, nous confie un villageois. 

Prenant la parole, un père de famille rappelle le calvaire vécu quotidiennement par la centaine d’élèves pour rejoindre leurs écoles dans l’unique bus mis à leur disposition. ‘‘D’ailleurs ils sortent à 7h, dans l’obscurité, et ne reviennent que le soir vers 16h. À midi, les parents qui en ont les moyens se chargent de les ramener, d’autres laissent leurs enfants à l’école. Imaginez l’inquiétude des mamans qui ne sont soulagées qu’une fois leur progéniture rentrée saine et sauve, en particulier les élèves de 1re et 2e années primaires, obligés de rester à l’école’’, déplore-t-il. Les habitants revendiquent tout simplement une école et une salle de soins. ‘‘Trois classes suffiraient pour prendre en charge nos enfants puisque le terrain est disponible’’, ajoute notre interlocuteur. 

Le problème du transport ne se limite pas aux écoliers. En l’absence d’une ligne de transport en commun, les habitants éprouvent du mal à se déplacer vers et de Hammam Bou Hadjar, la commune mère, distante de 2 kilomètres. Une aubaine pour les taxieurs clandestins qui assurent des courses à un prix oscillant entre 150 et 250 DA jusqu’à l’entrée de la ferme, c’est-à-dire là où s’achève la route goudronnée afin de ne pas endommager les pneus et la suspension de leurs véhicules. 

Selon les habitants du douar Bendella-Baroudi, l’absence d’aménagement des routes dans cette zone d’ombre est à l’origine de la dégradation de l’environnement puisqu’elle encourage les jets d’ordures ménagères et de déchets solides de façon anarchique, au détriment de la santé des riverains, avec la prolifération des chiens errants, des rats et même des serpents en été, avec le risque de morsures. En outre, les habitants ont dénoncé la disparition des bennes à ordures et des... couvercles de regards ! Les habitants des bâtisses qui risquent de tomber en ruine demandent la restauration et le renforcement des murs ; la plupart se disent au chômage, avec une famille nombreuse à charge.

Indisponibilité du foncier, un casse-tête pour les autorités locales
Sollicité par nos soins Ahmed Boukhari, le tout nouvel édile de Hammam Bou Hadjar à laquelle est rattachée cette zone d’ombre, nous annonce d’emblée que les efforts de son APC sont axés principalement sur le développement des zones d’ombre, dont celle de Bendella-Baroudi. Celle-ci vient de bénéficier de l’inscription de trois projets portant sur la réalisation d’une salle de soins avec logements de fonction, l’éclairage public avec le système Led ainsi que l’aménagement des routes et leur revêtement en béton bitumineux. ‘‘Nous avons proposé l’inscription d’autres projets au profit de la population, dont la réalisation d’une école primaire et la création d’une ligne de transport entre cette zone d’ombre et la ville de Hammam Bou Hadjar.

Ce qui mettra fin au calvaire qu’endurent toutes ces familles. Aussi, la centaine d’habitations rurales réalisées à l’heure actuelle bénéficieront d’un raccordement au réseau de distribution d’électricité’’, nous apprend Ahmed Boukhari. Cependant ce dernier n’a pas caché que ce qui le préoccupe le plus c’est l’indisponibilité du foncier dans cette partie de la commune de Hammam Bou Hadjar. Ce qui constitue une contrainte pour lancer d’autres projets vitaux, même s’il tient à rassurer les habitants quant à la régularisation prochaine de leurs actes de propriété. ‘‘Notre objectif est de rendre à cette bourgade son lustre d’antan’’, espère-t-il. Parviendra-t-il à relever ce défi ?    

 

Reportage réalisé par :  M. LARADJ

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