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Le Royaume cassé de l’enfant unique

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Kamel DAOUD Publié 26 Août 2021 à 00:09

© D. R.
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Par : KAMEL DAOUD
ÉCRIVAIN

C’est un enfant unique avec plusieurs sœurs et frères. D’où sa colère et sa solitude, mais aussi son sentiment de vivre étouffé et d’avoir été abandonné. Il ne pardonne pas à l’histoire d’avoir donné naissance à d’autres que lui ? Oui. Mais en même temps, il voudrait ne pas être seul tout en étant unique. D’où sa manie d’appeler les autres “frères” et “sœurs” sans vouloir l’être pour aucun. Politiquement, il rêve de fraternité. Ce qui aboutit à un paradoxe : personne n’est chef, il n’y a pas d’État et l’État, c’est le contraire de sa liberté. La hiérarchie est de la dictature et l’espace est une source d’angoisse. L’histoire est un vide avant sa naissance et il ne veut pas qu’elle continue car elle signifiera son remplacement, tôt ou tard. C’est un enfant unique tueur du temps qui coule. Son avis est unique, son envie aussi, sa façon de voir, d’expliquer, d’attendre et même de rêver. Les rêves des autres ou leurs différences ? Ce sont des vêtements ou des choses qu’on lui a volés, des parodies. Ou des manœuvres qui ont été rêvées pour lui voler son rêve, l’écraser, l’ignorer ou l’amoindrir, le confondre et effacer sa différence. D’où sa colère. Unique d’enfant unique. Ses crises. Sa rage quand on ne lui ressemble pas. Quand on accapare l’attention historique parentale autrement que sur sa personne. Quand il s’oppose à l’autorité, il le fait dans le paradoxe adolescent qui lui sert de mesure : il veut que le “père” s’en aille, meure, mais reste, donne de l’argent, mais ne demande rien, existe, mais n’insiste pas. À la fois, il veut le père et manger son père. D’où sa violence aussi, sa radicalité, mais aussi les limites de sa révolte : il veut se libérer, mais ne pas se libérer du salaire de son père. Que le père paye l’électricité, le pain, les frais de médecins, le carburant et le toit, mais il veut que ce père n’existe plus. Veut-il le remplacer ? C’est encore plus angoissant pour l’enfant unique. Ce qu’il veut, c’est se révolter mais face à des miroirs, crier, dénoncer, mais en rester à ce bel âge où il veut tout sans être responsable de rien. Et sa mère ? C’est encore pire. C’est sa terre, le contraire de la mer, le chaud éternel, le tiède rassurant, le lit, l’amour muet et le ventre sans fenêtres. Il la veut à lui tout seul. Veut son sein, son corps, ses arbres et se confondre jusqu’à être son époux ou son ancêtre ou quelque chose de plus secret et de plus inavouable face aux lois. Revenir au moment où ils ne furent qu’un. Avant ses frères et sœurs, cousins ou sosies. Il est amoureux, mais violemment, révolutionnaire et stationnaire, ardent, mais inquiet. Beau, mais sans volonté de séduire, vigoureux et aride comme la pierre. Enfant unique qui proclame la fraternité, enfant parmi d’autres, mais qui refuse de l’admettre. Il vit le mythe : il tue son frère pour une brebis, tue sa sœur pour l’honneur, tue le père pour la démocratie et tue la mère pour qu’elle n’enfante plus personne d’autre. Il ne parle que de décolonisation et colonisation. La première, ce fut sa naissance, la seconde le moment heureux et douloureux où il vivait dans le ventre de sa mère. D’où sa crainte de sortir, nager nu, voyager, accepter le monde, laisser les autres avoir une opinion différente ou garder le silence ou aimer un arbre ou concevoir l’amour autrement que comme une accaparation. Il est alors malheureux et violent. Héroïque, mais à vide. Dans un stade, une gare, à la plage ou durant des élections ou chaque vendredi. Parfois, il va prier, mais le ciel est son beau-père imaginaire. D’autres fois, il prend la mer, mais il nage comme on trahit. Et s’il s’exile ? Il devient encore plus enfant unique car encore plus solitaire. Tout s’exacerbe et le pays devient deux fois plus grand dans sa tête et deux fois plus lourd sur son dos. Il se crèvera les yeux pour ne plus avoir à calculer les distances qui torturent. Et sera encore plus colérique. Et s’il reste ? Il tournera dans la maison, cassera des forêts ou des jouets, jurera qu’il veut la liberté, mais seulement la sienne. Que tout est la faute de son père qui a battu sa mère qui est morte avant sa naissance. Que son histoire lui a été volée, de même que la télévision. Il veut parler arabe, algérien ou amazigh ou seulement en Azerty, mais c’est pour cacher qu’il ne maîtrise pas la langue de la tendresse. Il veut être arabe seulement, ou seulement musulman, ou seulement Kabyle ou seulement seul, mais tout cela, c’est juste pour remonter le temps et fuir l’avenir et les enfants à venir.  
Il est tout le temps en colère. Il veut le pouvoir, mais il confond avec la télécommande. Il veut respirer, mais croit que c’est la faute des autres. Il veut Dieu, mais croit que c’est son satellite à lui. Il heurte les murs. Se décourage au seuil de chaque voyage, hésite, tente de refaire la guerre de décolonisation, accuse, puis laisse tomber ses bras et ses os dans son assiette, réclame, puis ne sait plus quoi, veut être aimé, mais cela veut dire partager, veut être heureux, mais croit que c’est une voiture de luxe ou une vengeance ou dominer un autre. Il veut être nationaliste, mais il n’a pas suffisamment d’ennemis selon lui et se met à en chercher, et veut être religieux, mais dispute à son Dieu le fait d’être unique, veut être un homme, mais sur le dos d’une femme. Il veut être ancien moudjahid, mais en commençant par la fin de l’histoire. Il tourne. Il est immobile. Il est unique. C’est un Dieu de rancune qui n’a pas trouvé d’échelle pour remonter ses cieux. Ou se faire reconnaître comme tel. Trêve d’image. C’est juste un enfant malheureux qui garde le pouvoir ou qui en rêve pour oublier un malaise plus profond. Voyez-vous ? C’est un enfant unique qui, dès lors, s’oppose à sa propre naissance.

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