Contribution

Une critique constructive des limites inhérentes au Hirak

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Faris LOUNIS Publié 18 Janvier 2022 à 19:55

Par : FARIS LOUNIS

Fonder un projet politique sur la base d’un héritage historique particulier   est   peu   susceptible   d’ouvrir   des   perspectives émancipatrices pour le plus grand nombre, dans la mesure où l’appropriation de la séquence coloniale s’effectue d’une façon partielle et partiale par des acteurs  qui  n’ont  pas  subi cette domination qu’ils dénoncent sans prendre le moindre risque, contrairement   aux   anticolonialistes   qui   n’étaient  qu’une minorité  active.”   (Nedjib   Sidi  Moussa,   “La   Fabrique  du musulman”, 2017)

Quand Ali Benhadj rêvait de “parachever” la Révolution algérienne. Durant son premier séjour en Algérie et qui correspondait à “la phase euphorique du mouvement populaire”, Nedjib Sidi Moussa s’est efforcé de rechercher les “formes d’auto-organisation” et les différentes mobilisations “des symboles de la lutte anticoloniale par les protagonistes du Hirak”. Avec perspicacité, il pointe l’une des faiblesses formelles du Hirak, qui se traduit dans la référence sclérosante à la Guerre d’indépendance, à ses héros, à ses martyrs et à ses mythes. Si certaines études et analyses savantes ont parlé de “réappropriation du récit national” comme facteur d’union politique dans la protestation politique, Nedjib Sidi Moussa rappelle, texte à l’appui, que cette “réappropriation du récit national” n’a rien d’inédit et que, dans les plus sombres moments de l’histoire algérienne, elle a été le fait de ceux qui ont failli mener l’Algérie à sa ruine certaine. Il cite l’exemple d’Ali Benhadj, l’un des leaders historiques du Front islamique du salut (FIS), qui concevait sa volonté d’ériger un état islamique en Algérie (qui est un projet d’extrême droite… il faut le rappeler !) comme le parachèvement de la Guerre de Libération nationale contre la colonisation française, tout en l’inscrivant dans le cadre mythologique – et extrêmement surréaliste – de la résistance de l’islam contre la prétendue “invasion occidentale”. 

Au journaliste Slimane Zeghidour, Ali Belhadj déclarait ceci en 1990 : “Si mon père et ses frères (en religion) ont expulsé physiquement la France oppressive de l’Algérie, moi, je me consacre, avec mes frères, avec les armes de la foi, à la bannir intellectuellement et idéologiquement et à en finir avec ses partisans qui en ont tété le lait vénéneux.”(1) Il remarque aussi l’absence quasi-totale de la critique de classe, due essentiellement à la décomposition du mouvement ouvrier. Il a aussi remarqué que le pionnier du “nationalisme révolutionnaire, Messali Hadj, n’a pas encore “retrouvé sa place” dans les représentations liées à l’histoire dite officielle de l’Algérie et dans les champs éditorial et médiatique. 
Avec lucidité, Nedjib Sidi Moussa remarque que cette supposée “réappropriation du récit national” présente beaucoup de limites qui s’inscrivent “dans une démarche tendant à sacraliser la geste indépendantiste, empêchant toute critique à son sujet, dans une optique résolument unanimiste”(2).
Il est salutaire de voir ici un jeune chercheur comme Nedjib Sidi Moussa questionner avec raison la pertinence du référent anticolonial dans le mouvement contestataire algérien qu’est le Hirak. Sommes-nous condamnés à protester anachroniquement contre les spectres d’une colonisation terminée depuis soixante ans ? Pour l’auteur d’Algérie, une autre histoire de l'indépendance, la reprise de la geste anticoloniale, loin d’être subversive, est souvent vectrice de populisme, de repli sur soi et de xénophobie. Cela aboutit, par exemple, à des situations ahurissantes et non sans réels dangers, dans lesquelles, chez une frange de la jeunesse algérienne influencée par les thèses islamo-conservatrices, un leader d’extrême droite islamiste comme Ali Benhadj devient une figure sympathique, voire l’incarnation du messie tant attendu pour mettre fin au despotisme du régime(3). 

Les limites du Hirak
Pour Nedjib Sidi Moussa, le Hirak souffre de beaucoup de limites qui affaiblissent sa dynamique contestataire. Parmi ces limites et dans la perspective de ce qui a été déjà signalé : 
1) la permanence stérile dans chaque démarche contestataire du référent colonial ; 
2) la reprise par les forces de l’opposition des modalités conventionnelles sur lesquelles repose le pouvoir en place (la Révolution anticoloniale, la nation et l’islam), creusant par conséquent un abîme avec les objectifs radicaux de la contestation ; 
3) son caractère interclassiste qui l’empêche de se départir “de la matrice populiste et nationaliste qu’il partage avec le régime, au même titre que le triptyque identitaire (islamité, arabité, amazighité) ou le drapeau vert-blanc-rouge”(4). 
La question de l’aliénation par la mobilisation des affects est aussi abordée et finement analysée par Nedjib Sidi Moussa. Il la questionne par le recours au football comme objet d’analyse et en prenant pour exemple la victoire de l’équipe algérienne de football, dans le cadre du match de barrage permettant la qualification au Mondial de 2010, contre sa concurrente égyptienne, donnant ainsi, outre les scènes de liesse collective, inédites dans l’histoire de l’Algérie indépendante, à des vagues de chauvinisme et à un déferlement de haine inouï. Loin de voir dans le nationalisme agressif de certains supporters algériens un “enchantement sublime, donnant du bonheur aux personnes”(5), Nedjib Sidi Moussa y voit les marques d’une aliénation dans et par le sport, très peu analysées par les oppositions de gauche et passée sous silence par plusieurs journalistes et universitaires, souvent pour ne pas briser le mythe du supporter de football érigé en “parangon du mouvement contestataire”, et cela même quand il scande dans l’hypercentre d’Alger “Dawla islamiya harrachiya !” (état islamique d’El-Harrach !)(6). 
L’affectivité des masses et l’exploitation dont elle fait l’objet, surtout dans l’injonction obsessionnelle à extérioriser les signes ostensibles – devenus avec l’œuvre du temps ostentatoires – du nationalisme algérien comme le drapeau national, s’est présentée à Nedjib Sidi Moussa, en mars 2019, dans le centre de la capitale algérienne : “Lors de ma première marche, un vendeur ambulant m’a interpellé en arabe vernaculaire en me reprochant de manifester ’en civil’, selon ses propres mots, en français cassé, c’est-à-dire sans porter les couleurs nationales”(7). L’injonction à “faire peuple” afin de ne pas “diviser le Hirak”, au nom des couleurs nationales et au nom de la lutte anticoloniale, ne fait que révéler la face conservatrice d’une grande partie des Algériens, constate Nedjib Sidi Moussa. Cela s’est essentiellement traduit par la reprise, chez des journalistes, des intellectuels et des militants situés à gauche, du fameux slogan confusionniste “Djeich, chaâb, khawa, khawa” (armée, peuple, frères) ou par l'absence de toute dénonciation, dans le champ médiatico-politique, des slogans xénophobes et antisémites, renvoyant Abdelaziz Bouteflika à sa supposée “marocanité” et Ahmed Ouyahia à sa “judéité” fantasmée(8). 
On ne peut que noter le mérite de Nedjib Sidi Moussa qui, dans le feu de l’action, a vu clair en refusant de cautionner le nationalisme autant que le populisme, ainsi que la notion dogmatique de peuple qui, en Algérie, fait florès par le nombre infinitésimal des délires auxquels elle ne cesse de donner naissance. 


1- Amin Allal, Layla Baamara, Leyla Dakhli, Giulia Fabbiano (dir.), Cheminements révolutionnaires. 
Un an de mobilisations en Algérie (2019-2020), Paris, CNRS Editions, 
2021 (p. 224)
2- Ibid., p. 226
3- Ibid.
4- Ibid., p. 229
5- Ibid., 229.
6- Ibid. (p. 230) Il s’agit ici des groupes d’ultras de l’Union Sportive Madinet El-Harrach.
7- Ibid.
8- Ibid., p. 232-233.

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