L’Actualité De nombreux projets privés souffrent de blocage à Tizi Ouzou

Les investisseurs asphyxiés par la bureaucratie

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Samir LESLOUS Publié 08 Juin 2021 à 08:44

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Sur les 346 projets d’investissement inscrits depuis 2018, seuls 98 ont pu être lancés en raison de différents blocages, a révélé récemment Abdelkrim Mansouri, DG de l'ANDI.

Loin des beaux discours officiels sur l’importance de l’investissement privé dans la relance économique du pays, et surtout sur les facilitations qui leur sont accordées, des investisseurs sont confrontés à une réalité des plus amères à Tizi Ouzou où nombreux sont ceux qui continuent à être broyés en silence par le rouleau compresseur de la bureaucratie locale. Au lieudit “Zegzou”, aux abords de la RN24 dans son tronçon reliant la ville côtière de Tigzirt à Azeffoun, un complexe hôtelier des plus luxueux devait voir le jour il y a déjà plusieurs années. Aujourd’hui, sur les lieux, il n’y a qu’un terrain partiellement défraîchi et un panneau indiquant l’intitulé du projet.

L’infrastructure 5 étoiles, que ce terrain est censé abriter, devait comprendre un hôtel de 132 chambres, suites et appartements, plusieurs restaurants et piscines, des parkings et même une station hélicoptères pour VIP, ainsi qu’un parc aquatique, de loisirs et de sport. Le coût global de la réalisation était estimé à plus de 650 milliards de centimes et il devait créer 500 emplois directs et 2 500 emplois indirects. Mais c’était sans compter sur les multiples blocages de l’administration de wilaya qui en fait voir des vertes et des pas mûres au promoteur de ce projet. Ali Khenane, puisque c’est de lui qu’il s’agit, se bat depuis maintenant seize longues années pour faire aboutir ce projet.

En vain. L’histoire de ce projet a débuté en 2005 et elle ne connaît toujours pas son épilogue en 2021. “En 2005 j’ai acheté un terrain auprès d’un particulier, en respectant toutes les procédures, pour lancer un projet de réalisation d’un complexe luxueux. Fin 2005, on me délivre un certificat d’urbanisme mais on me signifie que le terrain en question est situé à l’intérieur d’une zone d’expansion touristique, ZET, et qu’il fallait donc m’adresser à l’ANDT et là, commence une nouvelle bataille”, nous raconte Ali Khenane, ce jeune investisseur qui comptait bien révolutionner le tourisme sur le littoral de la wilaya de Tizi Ouzou, n’était l’acharnement des autorités à le freiner. “Durant l’année 2006, je me rapproche de l’ANDT et du ministère du Tourisme et on me demande juste de réaliser un projet luxueux et qu’ils étaient prêts à m’aider. Je présente alors le projet détaillé et je dépose un dossier d’agrément en juillet 2007 qui n’a pas tardé à être validé.

On m’a demandé juste de compléter avec des garanties financières et une étude d’impact sur l’environnement. Chose qui est vite faite et en 2011 j’obtiens alors enfin un agrément administratif, mais je n’ai pas tardé à me rendre compte que je n’étais pas encore près de voir le bout du tunnel”, relate encore notre interlocuteur à qui on n’a pas tardé à signifier que le projet doit attendre d’être intégré dans le Plan d’aménagement touristique (PAT), à l’époque en voie de création.

Entre-temps l’investisseur profite alors, durant l’année 2012, pour procéder, dans le cadre du Calpiref, à une extension pour réaliser un parc aquatique, de loisirs et de sport. Pour cela il obtient une assiette, de 6 hectares, mitoyenne à son terrain. Il procède ensuite, en 2013, en compagnie de son frère établi à Paris, à la création de la Sarl qui devait gérer le complexe. En 2014, le projet est validé par le Conseil national d’investissement et en 2015, le projet obtient enfin son agrément final. “Il ne restait qu’à déposer le dossier du permis de construire et là, le cauchemar ne fait que commencer”, dit-il.

“Je me suis rendu compte que le fameux guichet unique n’était finalement qu’une formule toute trouvée pour bloquer l’investissement sans que personne soit responsable. Créé officiellement pour fluidifier les démarches d’investissement, ce guichet unique s’est révélé n’être qu’une protection administrative assurée aux bureaucrates de tout acabit”, a fini par conclure cet investisseur qui, après 15 ans de déboires, se demande à quoi sert donc le nouvel instrument créé en 2018, à savoir le plan d’aménagement touristique, PAT, si au final le permis de construire est suspendu au bon vouloir de la Direction de l’urbanisme et de la construction, (DUC), qui fait, dit-il, la pluie et le beau temps. “La Direction du tourisme est-elle une sous-direction de la DUC ?” s’interroge-t-il encore, lui qui en 2021, n’a toujours pas obtenu le permis de construire pour concrétiser son projet. 

Cet investisseur privé n’est, à vrai dire, pas le seul à être confronté à de tels déboires. Un autre jeune investisseur qui voulait lancer un projet de transformation agroalimentaire à Mizrana, dans la région de Tigzirt, a vécu une situation quasi similaire. “Quand on écoute les discours officiels, ils disent qu’on encourage les jeunes et l’industrie de transformation, et je suis un jeune et je voulais me lancer dans la transformation. En vain ! Au final, je suis un jeune investisseur désespéré”, s’est-il insurgé récemment lors d’une rencontre avec la présidente de la CGEA, Saïda Neghza. Ce jeune investisseur dont le projet est ficelé depuis longtemps, bute, lui aussi, sur le même problème du permis de construire. “Depuis 4 ans, j’ai décidé d’investir dans ma commune, à Mizrana, qui ne compte aucun projet d’investissement industriel et donc aucune rente pour la commune. J’ai alors déposé plus de dix dossiers pour obtenir une concession mais sans succès. Je me suis alors rabattu sur mon propre terrain mais voilà que mon dossier de permis de construire est resté sans suite deux années plus tard”, a relaté ce jeune dont le projet, dit-il, devait employer 200 personnes. 

En plus des investisseurs dont les projets ont abouti mais qui continuent de patauger dans la boue des zones d’activité en mal d’aménagement, le nombre de potentiels investisseurs dont les projets souffrent de blocages est ahurissant. Le directeur de l’Andi, qui intervenait récemment sur la radio locale a révélé que sur les 346 projets d’investissement inscrits depuis 2018, quelque 98 n’ont pu être lancés en raison de différents blocages. Pour sa part, le directeur de l’industrie, Moula Hamitouche, a expliqué via le même canal, que le nombre de dossiers déposés depuis 2011, s’élève à 1 518 et 406 d’entre eux sont validés par la commission chargée de l’étude et de la validation des dossiers d’investissement mais que 48 de ces 406 projets ont été annulés pour non-respect des engagements par les investisseurs.

En revanche, le même responsable a reconnu que sur les 358 projets retenus, seulement 21 sont entrés en activité, avec à la clef la création de 1 002 emplois, et 46 autres sont en cours de réalisation. En éludant la situation des 291 projets industriels restants de ces 358 investissements qui devaient créer 1 800 emplois, le directeur de l’industrie reconnaît implicitement leur blocage. “Il faut simplifier les choses. Le circuit qu’empruntent les investisseurs est de nature à épuiser l’investisseur avant même d’entamer son projet”, a déploré le directeur de l’industrie. 

Parmi les secteurs les plus impactés par le blocage des projets d’investissement économiques privés, celui du tourisme arrive en tête. Son directeur, Rachid Ghedouchi, qui a été, il y a quelques semaines, l’invité de la radio, a reconnu que 145 projets d’investissement touristiques n’ont pas été lancés à travers le territoire de la wilaya de Tizi Ouzou. “La wilaya de Tizi Ouzou compte 61 projets touristiques en cours de réalisation, dont 12 seront réceptionnés durant cette saison estivale”, a-t-il dit tentant de maquiller le désastre qui frappe le secteur dans cette région dont, pourtant, l’une des vocations principales n’est autre que le tourisme. Les chiffres annoncés par ce même directeur suffisent amplement à étayer ce constat puisqu’à l’ère de l’industrie touristique, le territoire de la wilaya de Tizi Ouzou ne compte sur son territoire, a-t-il affirmé, que 32 établissements hôteliers dont 14 établissements seulement sont implantés sur le littoral de la wilaya.

Pour une wilaya qui s’apprête, selon les estimations du même Ghedouchi, “à accueillir 6 à 7 millions d’estivants durant cette saison estivale”, il est, sans doute, aisé de conclure à l’insuffisance de ces infrastructures existantes. Cela d’autant que sur les cinq hôtels publics en rénovation, à l’exception du Bracelet d’argent d’Ath Yenni, les autres sont toujours fermés. Pour expliquer les raisons de ces blocages, le directeur du tourisme a déclaré qu’en effet, “le permis de construire constitue un élément de blocage”. “Il y a les textes juridiques concernant les forêts, la loi sur la bande des 100 mètres concernant le balnéaire, qui freinent l’investissement, mais il y a aussi le problème du permis de construire. Nous avons signalé à maintes reprises qu’il y a un problème pour l’obtention du permis de construire, et nous avons adressé des courriers au wali et au ministre à ce sujet. Nous dégageons notre responsabilité dans cette situation”, a-t-il déclaré avant de reconnaître également que les fameuses zones d’expansion touristique,(ZET), lancées depuis 1988 accusent un énorme retard dans leur achèvement. 

En somme, la réalité de l’investissement privé à Tizi Ouzou s’avère être l’exact contraire de ce qui est prêché dans le discours officiel qui est construit sur un soi-disant “intérêt particulier” et de supposées facilitations accordées par les autorités aux investisseurs pour relancer l’économie du pays. A contrario, cette situation montre que la bureaucratie a encore la peau dure et qu’elle continue à broyer l’investissement économique privé.

 

 

Par : Samir LESLOUS

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