Culture Ahmed Tessa, pédagogue et universitaire

“L’école pénalise l’apprentissage des langues”

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Yasmine AZZOUZ Publié 03 Février 2021 à 20:23

© D.R
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Intervenant lors du colloque national des clubs de lecture, dont l’une des conférences s’est tenue le 1er février à la Bibliothèque nationale algérienne, Ahmed Tessa est revenu, en marge de cette rencontre portant sur l’importance de la lecture chez les enfants, sur son projet pédagogique dans les zones rurales, lancé en 2015, le désintérêt pour la lecture-plaisir chez les écoliers et le rôle du milieu scolaire, qui va selon lui “à contre-courant des besoins de l’enfant”. 

Liberté : Quel était le postulat de départ de votre projet ; celui d’aller dans des zones reculées et proposer aux enfants des séances de lecture ? 

Ahmed Tessa : Le postulat de départ était qu’il y avait un constat alarmant ; les bibliothèques scolaires ont été vidées, elles sont devenues non opérationnelles, les enfants ne lisent pas et les librairies ferment les unes après les autres. Un pays sans lecture est un pays sans culture. Partant de là, j’ai voulu lancer ce projet en 2011, mais il a été mis dans les tiroirs. En 2015, avec l’ancienne ministre de l’Éducation nationale, Nouria Benghabrit, on l’a relancé. Elle a eu le mérite de m’avoir encouragé, et en tant que retraité j’ai piloté le projet pendant trois ans. C’était une réussite à 100%, à part deux points noirs qui continuent de pénaliser la promotion de la lecture et du livre en Algérie. Ce sont la misère dans les bibliothèques scolaires, et la mauvaise gestion pédagogique des langues. Pour pénétrer dans la lecture d’un livre, il faut avoir un minimum de compétences linguistiques que l’école ne favorise pas. Bien au contraire, elle pénalise l’apprentissage des langues. 

Avez-vous remarqué des disparités entre les enfants des zones rurales et ceux de la ville ? 

À l’exception de quelques familles qui incitent leurs enfants à la lecture, je dirais que 90% des écoliers sont orphelins de la lecture. Il n’y a pas de réelles disparités finalement. Mais les enfants des zones rurales, si on leur met entre les mains des livres, ils s’y intéresseront. Les citadins ne s’y intéressent pas tellement pour leur part, car ils ont plus de tentations : internet, sorties, télévision, jeux…

Comment s’est déroulée cette expérience singulière avec les apprenants ? 

Je garde un très bon souvenir de cette expérience et je l’ai poursuivie d’ailleurs en initiant une caravane de la “lecture plaisir”. Aujourd’hui, j’ai planté ma tante dans la Soumâa (wilaya de Blida) dans le cadre très agréable d’une école privée qui m’a offert la possibilité d’animer des ateliers les samedis et mardis après-midi et les jours de vacances. 

Selon vous, quel est l’origine de ce manque d’intérêt pour la lecture chez les enfants et adolescents ? 

Parce que les adultes ne lisent pas ! Et c’est aussi le climat scolaire qui fait qu’il y a une mauvaise méthode d’enseignement des langues. Chez les familles non plus, il n’y a pas d’intérêt pour la lecture. Mais c’est à l’école de prendre le relais. 

Le milieu scolaire ne s’intéresse-t-il donc pas aux besoins de l’enfant ? 
Exactement, le système scolaire algérien va à contre-courant des besoins de l’enfant qui aime lire. Aujourd’hui même, j’ai reçu une enfant inscrite en deuxième année primaire qui avait dans les bras une pile de livres qu’elle aime lire. Et malgré ça, sa directrice et son enseignante veulent l’expulser de l’école car, pour elles, elle est faible. 

Dans le cercle familial, comment les parents peuvent-ils aider leurs enfants à s’intéresser au livre ? 

Il faut que les parents lisent eux-mêmes, c’est l’éducation par l’exemple. Dans la plupart des cas, des parents qui ne lisent pas donneront des enfants qui ne lisent pas ou qui ne liront pas non plus. Seule une volonté politique peut remettre les choses à leur place au niveau culturel, de l’éducation nationale et à un niveau encore plus global par une démarche intersectorielle pour promouvoir la lecture. 

Qu’en est-il du rôle de l’édition et de la littérature jeunesse dans cette promotion justement ? 

Le peu qui existe est frelaté, alors qu’il y a des normes de gestion pour éditer un livre pour enfant. Chez nous, n’importe quel éditeur peut éditer des livres jeunesse, car la loi du livre qui date de 2017 n’a pas été appliquée. 

Lors de votre intervention, vous avez expliqué que l’école privilégie plus les matières scientifiques au détriment des matières littéraires…

Et de quelle manière ! Mêmes les matières scientifiques sont mal enseignées. On a entretenu l’illusion d’une réforme qui n’était pas une réforme, elle a aggravé les déficits pédagogiques. 

 

 

Propos recueillis  par : Yasmine Azzouz

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