L’Actualité LES LÉGISLATIVES ENTRE PARTISANS, OPPOSANTS ET DES INCONNUES

Comme une bouteille à la mer

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Mohamed MOULOUDJ Publié 07 Juin 2021 à 00:45

© Louiza Ammi/Liberté
© Louiza Ammi/Liberté

Le temps  est  gris  en  cette  matinée de juin dans la capitale. Chose somme toute inhabituelle en ce mois réputé pour sa chaleur. Alger la blanche ressemble à une  enclave  où  les  gens  ont  peur  de tout, y compris  de  leur  propre  ombre.  Grisaille  mais  sans  prévisions “électorales” précises. 

Aborder des citoyens sur les élections est un risque à prendre. Ils sont très peu à vouloir s’exprimer.  Comme  une  appréhension qui les empêche de parler,  discuter  de  ce  sujet  avec  des  citoyens  relève  du  parcours du combattant.   Toutefois, celles et  ceux  qui  ont  choisi  de  répondre après insistance, même furtivement, ne semblent pas trop emballés par le scrutin prévu dans moins d’une semaine.

À la Grande-Poste, lieu symboliques de rassemblements de manifestants au début du mouvement populaire, les quelques passants qui scrutent les panneaux ornés de quelques portraits de candidats, font mine de ne rien saisir. “Ce sont d’illustres inconnus”, répond Aziouez, un sexagénaire. Couffin à la main, Aziouez n’a raté aucun rendez-vous électoral depuis plusieurs décennies. “Je suis un fils de chahid et je ne vois pas la nécessité de boycotter puisque quoi qu’on fasse, ils désigneront ceux qui occuperont les sièges”, dit-il, pour justifier son choix d’offrir sa voix à un “wlid houmti” (un enfant de mon quartier) qui s’est porté candidat sur la liste d’un parti politique.

Près de Aziouez, Nazim, un jeune étudiant à Bab Ezzouar qui l’accompagne. “C’est mon oncle. Il est retraité de l’administration”, précise Nazim qui, comme son oncle, a décidé de voter le 12 juin. D’une sensibilité d’écorché vif, Nazim estime qu’il ne “sait pas pourquoi il le fera, mais le vote est un devoir”. 

Sans grande conviction, avoue-t-il, cependant, il développe à brûle pourpoint un raisonnement qui a fini par attirer quelques passants. “À quoi cela servira-t-il de boycotter alors que nous avons une opportunité de désigner des gens qui n’ont jamais rien fait de mal ?” nous dit-il. Son argument semble “farfelu” pour deux jeunes filles qui préfèrent “rire” en guise de réponse.

Nazim, furieux, a tout de même laissé passer. Aux abords de la Grande-Poste, la rue Ben Mhidi (ex-rue d’Isly). Des dizaines, voire des centaines de personnes se croisent. Les quelques personnes qui ont voulu répondre ont presque toutes “refusé” d’engager un quelconque débat avec nous. “Désolé je suis pressé”, répondaient certains. “À quoi sert une élection dans ce pays”, nous disent d’autres, l’air désabusé. D’autres encore tranchent : “Participer à une élection est une manière d’apporter son soutien à un régime exécré.”  “Je n’ai jamais glissé un bulletin dans une urne de toute ma vie”, s’exclame Djamel, commerçant. “Je peux, sans risque de me tromper, affirmer que je ne suis pas responsable du maintien de ce régime”, ajoute-t-il ironiquement.

À ses côtés, Amine, commerçant lui aussi, nous affirme : “J’habite Baraki et j’avoue que j’ai complètement oublié qu’on était en pleine campagne électorale.”  “Je sors tôt le matin et je ne rentre que très tard le soir, donc je ne suis au courant de rien”, ajoute-t-il comme pour dire que “la politique est un sujet qui ne m’intéresse pas”. Nous prenons congé de Djamel et d’Amine.

À la Place Émir-Abdelkader, quelques vieilles dames discutent de tout et de rien. Narimane est venue accompagnée de sa grand-mère. “Je la laisse avec ses copines le temps de faire quelques courses et nous repartons à la maison”, explique Narimane qui ne semble pas très intéressée par notre sujet. 

“Je voterai pour mon pays”
Narimane se dit “apolitique”, pourtant, précise-t-elle, “j’ai participé à toutes les marches du mouvement populaire”. Refusant d’expliquer “son cas”, elle  affirme bien qu’elle n’est absolument pas contre les élections. “Deux de mes cousins se sont portés candidats”, a-t-elle dit, considérant que ce fait “n’est pas condamnable”. “Je ne comprends pas ceux qui critiquent les candidats”, s’interroge Narimane.

Puis nous rencontrons, à proximité du siège de l’APC d’Alger-Centre, Idir qui est catégorique : “Je vais voter et personne ne pourra m’en empêcher.” Et de se rétracter en annonçant que si son choix s’est porté sur la participation : “C’est pour mon pays.” Sans s’aventurer à expliciter son choix, Idir reste finalement perplexe. “Sincèrement, je ne sais pas”, a-t-il fini par lâcher devant les questions incessantes de Toufik qui s’est mêlé subrepticement à la discussion. Toufik est ingénieur en génie civil, mais il est sans emploi. “Je ne pense pas que voter servira à quelque chose”, déclare-t-il. Pour lui, “glisser un bulletin dans une urne est facile à faire, mais les conséquences sont énormes. Je ne veux surtout pas légitimer un processus engagé par ce pouvoir”, pense Toufik, pour qui “le boycott est une nécessité”. 

À la place des Martyrs, les quelques jeunes qui ont accepté de répondre sont partagés. Mohamed-Amine est sûr de lui : “Je vais voter car je connais la plupart des candidats qui se sont présentés sur une liste indépendante.” Son ami Samy n’est pas de cet avis. Pour ce dernier, “ils ne feront rien pour la jeunesse”. “J’ai 23 ans et je vends des chaussures sur le trottoir depuis deux ans.” Samy nous raconte ce qu’il considère être une mésaventure. “La police a saisi ma marchandise plusieurs fois et cette fois-ci, c’est grâce à un voisin policier qu’ils ont fini par me rendre mes cartons”, a-t-il dit, qualifiant cette saisie “d’injustice”. “Je défie ces futurs députés de défendre notre cas”, ajoute Samy.

Mohamed-Amine revient à la charge. Il considère tout bonnement que “la politique est une affaire sérieuse à laquelle il ne prête pas beaucoup d’attention”. “Vous voyez, j’ai quitté l’école très tôt et je ne pense pas pouvoir comprendre quelque chose en politique, donc, je vote pour me faire plaisir.”

Au cours de notre discussion, un homme, la cinquantaine, écoute très attentivement. Sa chemise blanchâtre laisse apparaître des tatouages sur le bras gauche.

D’une voix grave, il explique que seuls “des hommes de valeur” pourront changer les choses. “Il ne sert à rien de polémiquer sur tel ou tel élu, ou sur son pouvoir de changer les choses”, a-t-il dit, avant de rappeler “les années de sang” qu’a vécues le pays. “Ils auront leur assemblée malgré vous”, a-t-il dit, avant d’allumer une cigarette et de quitter les lieux. 
 

Par : M. MOULOUDJ     

 

 

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