L’Actualité ARCATURES SOCIOLOGIQUES

Les contre-feux de la déraison

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Rabeh SEBAA Publié 21 Août 2021 à 02:08

© D. R.
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CHRONIQUE de : RABEH SEBAA

“Il faut se hâter, l’Histoire va fermer !” Henri Michaux

Une tragédie nationale  bourrée  de  significations. Débordante de sens. Porteuse de révélations. Génératrice de détermination. Mais qui appelle instamment l’Algérie à raffermir considérablement ses positions et ses résolutions. À libérer sa main d’acier de toute molle tergiversation. Notamment à l’endroit de cette nébuleuse velléité de sa dislocation. Cette ignominieuse machination de désagrégation.

Une tragédie nationale douloureuse qui a montré majestueusement qu’aucun ensemble ethnique n’a de revanche à prendre sur un autre. Aucune communauté algérienne n’a d’ennemi juré de proximité. Aucune région n’a pour rivale sa voisine, proche ou lointaine. Aucune catégorie sociale ne veut déclarer la guerre à une autre. Aucune ville ne veut brûler une autre. Aucun village ne veut détruire les récoltes de l’autre. Ce n’est pas la symbiose absolue pour autant. Et c’est tout à fait naturel.

Les sociétés humaines ignorent les symbioses chimériques et les harmonies idylliques. Parce qu’elles n’existent pas. Tout simplement. Seules leurs contradictions intrinsèques habitent et orientent leur mouvement. Seules leurs contradictions multiformes les font évoluer par leur renouvellement. Parfois imperceptible. Trop souvent invisible. Et l’Algérie ne fait pas exception. Chacune de ses régions a ses propres contradictions. Qui font sa personnalité et ses caractéristiques.

Chacune des régions a sa propre identité socioculturelle. Chacune a une contexture sociologique et anthropologique spécifique. Qui interdit les superpositions ou les amalgames fusionnels. Mais toutes ont leur lot commun qui se compose, indubitablement, de leurs inquiétudes et de leurs interrogations fondamentales. Les interrogations lancinantes qui les traversent sans exception.

Avec la même teneur, la même vigueur et la même ardeur. Les mêmes doutes et les mêmes appréhensions surtout. Dans un pays en pleine décomposition de ses certitudes. Dans une société en plein désarroi. Au creux vertigineux de l’effroi. Depuis un interminable moment. Une société face à un affaissement étendu de son rapport sociétal fondamental. Doublé d’une crise généralisée d'autorité d’un État durablement écartelé. Un État qui ne sait plus où donner de la tête. Ni où mettre les pieds. Une société en pleine détresse identitaire.

En plein questionnement d’existentialité. Et où les décalages sont nombreux, multiformes et répétés. Mais un pays où la force d’être est inébranlable. Et le désir d’exister immuable. C’est pour cela que ni la violence criminelle ni la velléité assassine de le démembrer ne peuvent trouver d’ancrage tenable.

L’expression de la violence criminelle, même sous sa dernière forme inédite d’homicide collectif par le feu, reconduit la dimension pathologique, qui échappe aux catégorisations de type taxinomique. Car les agissements criminels collectifs, qui apparaissent épisodiquement dans telle ou telle région du pays, constituent ce qu’on pourrait appeler des lieux syndromiques.

L’expression d’un faisceau de syndromes qui doivent être appréhendés chacun pour ce qu’il est et de façon différenciée. Sans généralisation et sans affirmation. Un syndrome est, comme on le sait, un ensemble de signes, au sens clinique du terme, mais qui ne sont pas forcément porteurs des mêmes pathologies, des mêmes nocivités, des mêmes agressivités, des mêmes violences, des mêmes symboliques et des mêmes destructibilités. Il est impératif de s’atteler à comprendre et à analyser la traçabilité de chaque acte collectif, criminogène ou criminel, au lieu de se contenter de s’en offusquer. Ou de le prendre pour prétexte commode pour polémiquer. Que cet acte soit de nature sociologique ou politique. Tangible ou idéologique.

Sous forme de lynchage physique, de proférations ethnophobiques ou de volonté de démembrement géographique. Ce sombre dessein de partition du pays, ostentatoirement convoité par ses ennemis intimes et ostensiblement porté par une secte infime. La tragédie nationale, encore fumante, a montré jusqu'où une secte mercenaire, notoirement instrumentalisée, est capable d’aller.

Le premier contre-feu qui doit s’allumer, en urgence, et en permanence, est bien celui qui calcinera irrémédiablement l’herbe sèche sous les pieds d’argile de ce sinistre épouvantail de la partition. Un contre-feu tranchant sous forme d’ablation d’une plaie maligne. Une plaie purulente qui se nourrit d’une brumeuse culture atavique et d’une fumeuse identité clanique.

Comme il est impératif, également, d’ériger un pare-feu contre les discours ethnophobes dégoulinant de haine contre une région ou une autre. Se lovant dans les marécages de l'exiguïté tout en revendiquant le droit exclusif à la citoyenneté. Tout en exhibant l’acquis péremptoire et irréversible de l’authenticité. Une citoyenneté incompatible avec tout couplage ou tout jumelage de n’importe quel tribalisme ou de tout relent de régionalisme. Leur association avec le processus de citoyennisation et une criante incongruité, pour ne pas dire une patente absurdité.

Dans la mesure où on ne peut conjuguer citoyenneté et tribalité, modernité et féodalité, lucidité et imbécilité, même si dans des pans entiers de la société algérienne, elles continuent de se côtoyer étroitement. Sans se fréquenter. Constituant des brèches historiques et culturelles transitionnelles dans lesquelles, il n’est pas toujours aisé de s’engouffrer.  Dans son ouvrage fabuleux intitulé Crise de la culture, Hannah Arendt soutient qu’il s’agit de “savoir comment se mouvoir dans la brèche entre le passé et le futur, alors qu’il n’est plus possible de s’appuyer sur la tradition ou sur l’histoire”. 

Dans toutes les sociétés humaines, il existe des moments d’enfourchure, pour ne pas dire de rupture, dans leur apparente linéarité sociologique ou politique. L’Algérie ne fait pas exception. Elle les appréhende et les traite avec les moyens de sa diversité, de ses inégalités et de ses fragilités. Ces moyens pluraux qui sont ses balises saillantes.

Ses garde-fous, ses repères et ses véritables contre-feux. Contre la déraison. Contre les trahisons. Contre la conspiration. Contre toute tentative de lui embleuir l’âme. Encore moins de la fractionner, de la morceler, de la segmenter, de la fragmenter. En lui dépeçant la peau, déjà copieusement lacérée.

L’Algérie est née pour vivre pluriellement unie. Ou unitairement plurielle, peu importe. Avec ses altérités intérieures. Ses altérités intrinsèques. La quintessence de sa prodigieuse multiplicité. Le mouvement citoyen de février l’a bellement mis en exergue. Comme un éveil formidable de la conscience sociétale, qui ne sait plus se mettre au repos. Et le monde entier a pu voir, les yeux écarquillés, qu’à aucun moment du cours véhément de ce torrent tranquille, l’Algérie ne s’est sentie divisée, scindée ou partagée.

Encore moins menacée par des dissensions émotionnelles ou livrées à des violences criminelles. Bien au contraire. Ses cultures plurielles, ses identités originelles, et ses projections passionnelles se sont trouvées fermement scellées. De façon durable. L’Algérie vient de confirmer magistralement qu’elle ne saurait être sécable. Forte de ses blessures répétées. Consciente de ses multiples vulnérabilités. Immergée dans les méandres tortueux de sa diversité. Elle sème patiemment les germes féconds de l’algérianité. Avec ferveur et solennité.

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