Économie Omar Hemissi, Expert en Stratégie et enseignant à l’ESC et à l’ENA

“La stratégie chinoise s’inscrit dans une démarche de réponse aux attentes des pays partenaires”

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Ali TITOUCHE Publié 07 Avril 2021 à 23:08

© D.R.
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Liberté : Depuis près de 10 années déjà, la Chine trône au sommet de la pyramide des premiers fournisseurs de l’Algérie avec, au compteur, une valeur annuelle de 8 milliards de dollars en moyenne d’exportations à destination de l’Algérie. Or, l’Algérie n’exporte presque rien vers la Chine. Comment faut-il remédier à ce déficit structurel de la balance avec la Chine ?
Omar Hemissi :
Il faudrait d’abord prendre conscience du fait que les rapports entre les deux pays se situent hors domaine de comparaison pour pouvoir apprécier les termes d’échanges économiques ou commerciaux selon une approche d’équilibre. C’est comme si on comparaît une multinationale à une start-up. En termes d’indicateurs économiques, la différence fondamentale entre les deux pays réside dans la taille critique de leurs entreprises respectives.

L’Algérie représente à peine l’une des provinces de la Chine, en plus du fait que son niveau de développement est nettement inférieur par rapport au géant chinois. De plus, la Chine dispose d’entreprises en mesure de noyer toute l’Afrique en biens d’équipements et en diverses marchandises. En revanche, à l’exception des entreprises du secteur des hydrocarbures et, à un degré moindre, des mines et de la sidérurgie, le tissu industriel algérien est principalement composé de PME, familiales de surcroît, dont la taille ne parvient même pas à couvrir les besoins du marché local.   

Certains économistes appellent à renégocier les termes du partenariat avec la Chine, axé essentiellement sur le commerce et la présence chinoise dans des projets de commande publique. Quels sont les secteurs où la Chine pourrait contribuer à créer une véritable valeur ajoutée ?
Votre question suscite deux réponses : d’une part, il est utile de rappeler que les termes des accords de partenariat sont essentiellement orientés vers des relations de coopération qui sont évidemment plus favorables à la Chine, dans la mesure où un pays en développement comme l’Algérie a besoin d’un pays comme la Chine qui recèle des capacités extraordinaires, tant en infrastructures et en outils de production qu’en progrès scientifique et technologique, voire en production de biens de diverses natures à la fine pointe de la technologie. C’est ce qui explique en substance la présence très visible des entreprises chinoises dans les projets de commande publique qui, au regard des clauses édictées dans leurs cahiers des charges en matière de niveau de capital, de biens d’équipements, de ressources humaines hautement qualifiées et de moyens financiers substantiels, excluent de facto l’écrasante majorité des entreprises locales. En outre, pour pouvoir entrevoir une approche sectorielle génératrice de valeur ajoutée, il est d’abord nécessaire d’apporter des ajustements considérables aux orientations de stratégie industrielle en Algérie.

À titre d’illustration, beaucoup d’intervenants chinois se déploient en consortiums pour pouvoir disposer de la taille, des ressources et des moyens nécessaires permettant de maximiser leurs chances de remporter des marchés colossaux à l’international. C’est une piste intéressante à envisager pour faire en sorte que nos entreprises puissent se constituer en groupements sectoriels et s’introduire dans des projets de grande envergure. Cela permet non seulement de dynamiser les plans de charges de tout un secteur, mais aussi et surtout d’acquérir une expertise dans les métiers sectoriels qui ouvriront à moyen terme des perspectives sur des marchés régionaux. 

Selon la Banque africaine de développement, la Chine est de loin le créancier le plus important de l’Afrique “hors Club de Paris”. Or, ses prêts manquent de transparence, pointe la BAD, qui relève, dans son dernier rapport annuel, que les prêts chinois en faveur de l’Afrique se maintiennent au-dessus de 10 milliards de dollars annuellement. Pourquoi l’Algérie n’a que faiblement profité de ces prêts contrairement aux autres pays ?
Comme nous le rappelions, il y a un instant, la stratégie chinoise est basée sur les accords de partenariat et de coopération. Cette stratégie d’entente bilatérale permet justement de s’inscrire dans une démarche de réponse à des attentes spécifiques de chaque pays partenaire. Cela dit, les modes de gouvernance adoptés et les velléités de croissance et de développement pour sortir du sous-développement font que les pays africains sont beaucoup moins regardants sur les principes de transparence en matière de clauses et de termes de partenariat et tolèrent, en conséquence des mécanismes peu transparents qui laissent à penser que les volumes effectifs de participation chinoise se situent à des niveaux nettement plus importants, qui sont engagés dans des concessions de gigantesques parcelles de terres agricoles ou encore dans des gisements de diverses ressources naturelles. L’Algérie semble préférer une approche de partenariat qui s’édifie sur la contribution active dans le développement du tissu infrastructurel et dans les projets structurants de manière générale, sans pour autant tolérer une étendue plus large en termes de contribution financière qui, faut-il le souligner, conduirait inexorablement à des rapports moins équilibrés et à des concessions dans les modes de gouvernance, voire de souveraineté et d’indépendance. Certes, c’est un modèle caractérisé par des choix stratégiques de prudence et de préservation d’une autonomie, mais c’est aussi un modèle qui permet de diversifier les partenaires sans exacerber sa dépendance à une puissance économique donnée.

Propos recueillis par : A. Titouche

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