L’Actualité Me MOHAMED BRAHIMI, AVOCAT ET JURISTE SPÉCIALISÉ DANS LES QUESTIONS ÉCONOMIQUES

“RIEN NE JUSTIFIE L’EXISTENCE D’UN DISPOSITIF RÉPRESSIF CONTRE LES GESTIONNAIRES”

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Ali TITOUCHE Publié 02 Août 2021 à 22:43

© D. R.
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Liberté :  L’éternelle  question  de  la  dépénalisation  de  l’acte de gestion revient à nouveau sur le devant de  la  scène à l’occasion d’une réunion du gouvernement tenue samedi. Pourquoi la prise en charge juridique de cette question n’a pas évolué ?
Me  Mohamed Brahimi : Lors de la dernière réunion du gouvernement qui s’est tenue ce samedi, le ministre de l’Industrie a soulevé dans sa communication la sempiternelle question de la dépénalisation de l’acte de gestion. Pour le ministre chargé de l’Industrie, l’une des mesures urgentes à entreprendre pour booster l’économie nationale est la dépénalisation de l’acte de gestion. Le communiqué ne précise ni la date ni les modalités de mise en œuvre de cette mesure qui reste une revendication majeure des intervenants des différents secteurs économiques.

Il est indéniable que tout le monde est d’accord pour supprimer cet anachronisme qu’est la pénalisation de l’acte de gestion qui influe négativement sur l’économie nationale. Le président de la République s’est lui-même engagé lors de la conférence nationale dédiée au plan de relance pour l’économie nouvelle, organisée au mois d’août 2019, à mettre fin à ce traitement répressif des actes de gestion en laissant place aux seules règles du code de commerce. Aussi, il est légitime de poser la question de la non-prise en charge de cette question. Juridiquement et économiquement, rien ne justifie l’existence d’un dispositif répressif dédié spécialement à l’acte de gestion, les dispositions du code de commerce et incidemment les dispositions pénales de droit commun se suffisent à elles-mêmes au cas où l’acte de gestion constituerait un acte répréhensible constitutif d’une infraction.

La volonté politique affichée au plus haut sommet de l’État pour en finir avec cette doctrine répressive de l’acte de gestion étant avérée, il est clair que c’est au niveau des structures chargées de faire appliquer cette volonté politique qu’il faut chercher les causes de ce blocage. Il revient donc au ministère de la Justice d’engager les actions à même de remplacer l’ancien dispositif relatif à l’acte de gestion, aussi bien économique qu’administratif, par un autre dispositif plus respectueux de la présomption d’innocence et en adéquation avec la gestion moderne de l’économie. 

Quel  est  le  processus  juridique  à  mettre  en  place,  afin  que  cette dépénalisation de l’acte de gestion soit enfin effective ?
Il ne fait aucun doute que le manque de volonté dans la libération des actes de gestion explique l’instabilité du dispositif législatif encadrant cette question qui, parfois, change au gré des humeurs du législateur. Ainsi, alors que les gestionnaires des entreprises publiques économiques se sont félicités, quoique modérément, du modificatif apporté au code de procédure pénale par l’ordonnance du 23 juillet 2015 qui introduisit l’article 6 bis, exigeant une plainte préalable des organes sociaux de l’entreprise publique pour mettre en mouvement l’action publique et engager des poursuites pénales contre les gestionnaires, très vite cette disposition a été abrogée ultérieurement par la loi du 11 décembre 2019 en revivifiant l’ancien système qui autorise des poursuites d’office par le parquet ou par l’officier de police judiciaire.

La règle générale et universelle est que le gestionnaire d’une entreprise publique, à l’instar de toute autre personne physique, encourt une responsabilité en cas de faute, qu’il s’agisse d’une faute de gestion ou de non-respect d’une loi. Mais en droit, la faute peut être une faute civile susceptible seulement de réparation pécuniaire ou de poursuites disciplinaires, ou une faute délictuelle susceptible de poursuites et de condamnations pénales.

Le nouveau régime juridique qui tendrait vers la dépénalisation de l’acte de gestion doit prendre en compte cette distinction et n’autoriser la mise en mouvement de l’action publique contre les gestionnaires qu’en cas de faute pénale avérée, c’est-à-dire en cas de violation intentionnelle de la loi. Il faudrait, en outre, que les dispositions sanctionnant la faute pénale soit précises et non susceptibles d’une interprétation extensive.

Reste la problématique des juges chargés de statuer sur ce genre de dossiers qui, bien souvent, ne maîtrisent pas les subtilités du droit des affaires et qui, dans bien des cas, confondent une prise de risque du gestionnaire dans le cadre d’une pratique de management ou même d’une erreur de gestion avec la faute pénale qui suppose la commission d’un acte illégal délibéré et intentionnel.

Il est évident que sans une spécialisation des magistrats et autres intervenants dans la chaîne pénale, le risque de confusion entre prise de risque qui fait partie du management, la faute de gestion et la faute pénale persistera. Mais en tout état de cause, une politique volontariste de dépénalisation de l’acte de gestion et de protection juridique du gestionnaire public influera sans aucun doute sur la perception des magistrats concernant cette question.

Quels sont, selon vous, les effets pervers de cette pénalisation de l’acte de gestion ?
Il est évident que le régime pénal actuel régissant la poursuite et la répression des actes commis ou susceptibles d’être commis, aussi bien par les gestionnaires des entreprises économiques publiques que les agents d’autres entités publiques, ne plaide pas pour l’émergence d’une économie apaisée et moderne, où les différents acteurs économiques ou autres peuvent s’engager et prendre des décisions qui s’imposent sans craindre que leurs actes soient qualifiés de délits ou de crimes.

La pénalisation à outrance de l’acte de gestion entraîne inexorablement des blocages au sens où le gestionnaire évitera, sauf cas de force majeure ou de nécessité absolue, de s’engager ou de prendre des initiatives à même d’améliorer la gestion par crainte de poursuites. Cette paralysie dans la prise de décision est palpable dans toute la sphère publique, notamment au niveau des banques publiques.

Aussi, ceux qui se sont réjouis de l’abrogation de l’ancien article 6 bis du code de procédure pénale, qui tempérait un tant soit peu les ardeurs des tenants du tout-répressif, en n’autorisait les poursuites pénales contre un gestionnaire d’une entreprise publique économique que sur la plainte préalable des organes sociaux de l’entreprise, étaient dans l’erreur, surtout que le législateur a pris soin de prévoir dans le même article un garde-fou pour éviter les abus éventuels en prévoyant des sanctions pénales contre les membres des organes sociaux qui ne dénoncent pas les faits délictueux commis par les gestionnaires.
 

Propos recueillis par : ALI TITOUCHE

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