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Nassim ABBAS et Abdelhalim ABBAS Publié 09 Mai 2021 à 17:44

Par : Nassim Abbas et Abdelhalim Abbas

Le question-nement géopolitique pour l’Algérie est aussi sensible sinon plus. L’avenir et la question de l’ouverture de la société et de l’économie sont devenus vitaux pour le pays. C’est ce débat que d’aucuns ne veulent pas ouvrir au prétexte qu’aucun courant politique n’a le droit de donner des leçons de patriotisme.”

Il conviendra d’affirmer que Ferhat Abbas n’est pas un leader tiers-mondiste ni un révolutionnaire, encore moins un “aventurier gauchiste ou islamiste”. Dans un portrait consacré aux présidents de l’Algérie, M. Badr’eddin Mili, essayiste, a bien restitué la stature de Ferhat Abbas en le comparant à Sun Yan Tsun ; ce n’est pas Mao, ni Ho Chi Minh ou un quelconque “pistolero” sud-américain. Dans la sphère géographique-religieuse d’où il est pourtant issu, il n’a absolument rien à voir avec les Nasser, Kadhafi, Saddam, encore moins Ben Salah de Tunisie ou Mehdi Ben Barka et sa trilatérale ou autre El-Khattabi, sultan sans trône. Il est plutôt à rapprocher de la personne d’un Bourguiba (sans le penchant pour l’autoritarisme), d’un Zaghloul Pacha d’Égypte, mais surtout aux grandes figures occidentales, celles qui n’avaient pas occupé de postes et dont les principes et les valeurs occupent une place centrale dans la vision et la conception du monde enraciné dans l’humanisme et le progrès. Il ne s’agit pas pour nous aussi de façonner le récit national, sur le même registre idéel ou idéologique de certains. Il est prégnant de voir que le courant des Frères musulmans qui rêvaient de remplacer les cathédrales par des mosquées pour pouvoir faire le shopping à Paris, Londres ou New York ou le courant salafiste appelant à la destruction de la modernité, sorte de revanche des gueux sur le sort, eurent échoué sur les rives du sionisme, la peur du chiisme et l’évaluation par la modernité. Le même destin arriva au nationalisme arabe, encore plus tragique car prenant part à la gestion de leur pays d’une manière brute et intolérante, provoquant un immense désordre dans la société avec une incapacité à s’arrimer aux nations émergentes. 

Penseur et homme d’État inspiré et avisé 
Ferhat Abbas ne se serait pas “encanaillé”, pour reprendre une expression à la mode, ni à “la gauche couscous” ni à “l’islamisme” et sa matrice idéologique “détentrice d’une Vérité absolue qui, par le bien infini qu’elle promet, empêche ses partisans les plus convaincus d’accepter des compromis”. Non, pour Ferhat Abbas, le pire ennemi des idéologies mensongères, ce sont les faits, la maîtrise des chiffres, la connaissance et la compréhension du monde tel qu’il est et pas tel qu’on croit qu’il est ou voudrait tellement qu’il soit. Et la patience. Le réel est toujours, et encore, et à jamais bien plus complexe que l’alternative simpliste. Ferhat Abbas nous laissera longtemps cette sentence à méditer. “La nation algérienne naîtra avec ou sans la France, avec elle ou pour elle et contre elle. Pour qui connaît l’histoire de l’Afrique du Nord, ce dilemme a la valeur d’un impératif catégorique”, dira-t-il dans un éditorial intitulé “Rien n’entravera notre émancipatio”, in Égalité n°51 du 29 novembre 1946. Elle démentira ceux qui voudront vainement effacer le rôle des nationalistes à la conscientisation du peuple et surtout ceux qui iront à l’encontre du processus historique et du sens de l’histoire pour qui l’Algérie n’aurait pu connaître l’indépendance sans les armes et les drames. Ferhat Abbas déclarait déjà en 1952 que dans le cadre d’une action pacifique “son parti l’UDMA se donne pour objectif la pénétration des masses par la théorie du Manifeste ; elle accomplit un geste révolutionnaire au moins aussi efficace que la révolte armée”. Il clame toujours que l’État algérien est la formule de l’avenir. 
Comme l’indiqua l’historienne Malika Rahal, “Ferhat Abbas a toujours intégré les Français d’Algérie dans son projet de république algérienne, mais il attribue l’échec de son projet à leur incapacité à renoncer à leurs privilèges”. Benjamin Stora, historien, confirmera dans un article au journal Le Monde que Ferhat Abbas “est l’homme qui a voulu penser la mixité franco-algérienne, la reconnaissance mutuelle de deux pays, dans leur tradition, leur culture, leur histoire spécifique”.  Et, poursuit-il, il “apparaît alors comme une des valeurs de référence et d’apaisement de l’Algérie indépendante”. Lorsqu’il entreprit d’apporter sa contribution et celle de son parti au FLN, il avait à l’esprit que l’on ne peut barrer la route à l’évolution des sociétés humaines et que l’on ne peut davantage emprisonner
la liberté : “On n’emprisonne pas les idées. Seules la persuasion et la foi ont droit de modifier l’opinion des hommes.” Son passage à l’action armée, quoique dramatique, il le considéra dans l’évolution de l’Algérie une des étapes qui lui permettent de s’assumer et d’être responsable de son devenir et reste convaincu qu’il ne faut en aucun cas “séparer l’avenir des élites de celui des fellahs et préparer simultanément l’affranchissement politique et l’affranchissement social”. Le projet généreux de Ferhat Abbas, homme de Savoir, se nourrissait de la modernité pour se concentrer à ce que le peuple, en priorité, ait une vie décente, un accès à l’instruction, à la connaissance et à l’éducation. Il aimait à répéter que la concrétisation de ces dernières constitue l’action politique par excellence, un fait qui est seul à même de les émanciper des errements, de la malice des derviches et des artifices dans lesquels on a toujours voulu les enfermer. C’est dans ce cadre qu’il répondit opportunément en leur temps au traitement de la question coloniale par l’évolution ou la révolution. L’anthropologue Margaret Mead écrivit qu’“aider quelqu’un à traverser la difficulté est le point de départ de la civilisation”. La civilisation est une aide communautaire. Or, la question qui se pose aujourd’hui et qui doit interpeller le pouvoir, le Hirak et “l’élite” est celle de la transition démocratique et le passage à un vrai libéralisme sans restriction. Cela nécessite un incontournable qui doit cependant être assorti des conditions de stabilité politique et sociale en tenant compte de l’environnement géopolitique et de la dimension sociale historique de l’État algérien et du choix des alliances en corrélation avec une ouverture réelle sur le monde. Au préalable, il faut tordre le cou aux assertions à double tranchant quant à cet héritage légué en 1962 : le complotisme qui impute tous nos déboires aux séquelles du système colonial. 
Cette économie et cette infrastructure léguées par l’occupant en fait par le million de pieds noirs qui en jouissait quasi exclusivement. Avec l’un des deux ou trois meilleurs niveaux de standings de vie du monde (USA, Suède) de l’époque, jusqu’au plan de Constantine (1958-1961), vaste programme de développement lancé par le général de Gaulle s’inspirant de la reconstruction d’après-guerre : construction de logements, création d’emplois, redistribution de terres, scolarisation de tous les enfants et alignement des salaires et revenus sur la métropole. Malgré ce “butin de guerre”, le peuple algérien est sorti de la guerre de Libération victorieux mais physiquement broyé, laminé par 132 ans de colonisation, c’est-à-dire sans compétences significatives en nombre et en qualité pour gérer judicieusement le butin colonial. Ni élite cohérente pour construire l’État national en exploitant avec le discernement qui sied les restes de l’État colonial. 
Cela étant, en “confisquant l’indépendance”, nos dirigeants se devaient, peut-être à juste titre, de ne pas reproduire l’État colonial en tenant la gageure, il leur fallait leur projet, certes la continuité dudit plan de Constantine, à savoir encore plus ambitieux, plus moderne et avec les ressources humaines existantes en termes de savoir-faire, d’état d’esprit, de culture soi-disant apte pour le changement. À charge pour le pouvoir, au pied du mur, de concevoir et de créer une utopie, un projet de société. Ils se sont essayés avec le résultat que l’on sait ! Amertume générale et, osons le dire, avec pudibonderie semi-échec. 
Présentement, le contexte international reste aussi contraignant qu’il était pour réussir son intégration. Aux résultats et objectifs de domination économique, statut de fournisseurs de matières premières et de main-d’œuvre dépréciée et marché “otage” de fournisseurs dominateurs. Sur ce plan, l’inspiration a fait défaut et continue la panne de l’élite ou de ce qui fait office d’élite (carriériste) tentée aussi par la rente et sa distribution comme moyen de pouvoir. L’ouverture sur l’extérieur au temps de la mondialisation et la confiance en l’individu algérien et son adhésion en retour. That is the question. Génie national, où es-tu ? La soi-disant élite a fini par rompre totalement avec une grande partie de la jeunesse aujourd’hui en partie décérébrée, en partie désorientée, déroutée, qui opte soit pour le repliement sur le choix individuel isolé, soit pour la régression et a comme cap à choisir soit la harga pour mendier un pays d’accueil, soit pour la bigoterie et son corollaire le para-daechisme avilissant notre belle religion. Karl Popper a su démontrer que la société, au prétexte de devenir parfaite, détruit les personnes. Dans son livre La Société ouverte et ses ennemis, Popper met en relief les avantages d’une société où les hommes peuvent partager des savoirs dispersés grâce au libre- échange. Mais le pouvoir politique n’aime pas la dispersion et la communication, il préfère la centralisation et le commandement.  Que peut-on sortir comme programme politique, culturel et sociétal pour que la Nation algérienne puisse exister et s’intégrer dans “l’écosystème mondial” du XXIe siècle ? Où sont ces hommes politiques porteurs d’une “feuille de route”, d’un “programme” réaliste et réalisable et faisant consensus au moins au niveau d’une “nouvelle élite” qui transforme les réalisations de novembre 54 en vraie nation et État du XXIe siècle ? Une élite algérienne qui s’ouvre d’abord philosophiquement au monde d’aujourd’hui sans se renier, une élite qui maîtrise savoir et savoir-faire, une élite qui a conscience d’elle-même et donc porte et propose les ingrédients d’un consensus national. Une élite qui s’impose et est reconnue par sa société, une élite qui éclairera la route et la marche de son peuple sans se détacher de lui et de ses réalités à transformer. 
Le questionnement géopolitique pour l’Algérie est aussi sensible sinon plus. L’avenir et la question de l’ouverture de la société et de l’économie sont devenus vitaux pour le pays.  C’est ce débat que d’aucuns ne veulent pas ouvrir au prétexte qu’aucun courant politique n’a le droit de donner des leçons de patriotisme. Alors que la cartographie politique de l’Algérie s’avère plus compliquée dans une société à plusieurs facettes, conservatrice et moderniste, égalitariste et rurbaniste, où l’esprit pluraliste fait dramatiquement défaut. 
M. Lahouari Addi, faisant le bilan du Hirak le 6 août 2019, estime que “le Hirak a obtenu des résultats importants, même s’il n’a pas encore réalisé son objectif final qui est l’État de droit”. Ce bilan d’étape est inestimable pour la compréhension, et du mouvement et du moment historique dont la finalité est l’État de droit. M. Mili, pour sa part, dans Perspective de la Révolution du 22 février : l’État du peuple tout entier ? publié dans Le Soir d’Algérie du 31 juillet 2019, scanne la situation et le mouvement social en lui attribuant les qualités d’un mouvement révolutionnaire porteur d’un projet d’État du peuple en commençant par décliner sa méthodologie d’analyse des expériences historiques de révolutions post-1789. Les deux penseurs décrivent le Hirak comme étant trans-social, trans-générationnel, ce qui est vrai. C’est une force extraordinaire qui aurait pu imposer le changement et peser politiquement dans un nouvel État démocratique. Sommes-nous dans une impasse ? Peut-être, mais ce que l’on sait, c’est qu’un jour on arrivera à un régime réellement différent du système actuel, car on aura appris à voter librement. 
Pour le débat public, il faut se référer à nos illustres aînés leaders du mouvement national et surtout à ceux qui ont toujours gardé la hauteur de vue, de la tenue, de la probité et de la morale même dans les moments les plus durs et les contextes de rapport de force défavorables. 
On pourrait citer les regrettés Hocine Aït Ahmed et Mohamed Boudiaf, et ils sont de ceux-là, tout  comme Ferhat Abbas, avec leur vision comme solution indémodable. Il ne s’agit pas d’opter pour une alternative politique, mais plutôt de ne plus opter pour l’alternance des tyrannies et de l’absolutisme et le déni de justice. Aussi pourrait-on conclure que Ferhat Abbas “n’est pas libéral parce qu’il est démocrate, mais démocrate parce qu’il est libéral” ! Son parcours et sa personnalité illustrent bien l’homme d’État capable d’étudier comme un universitaire, de penser comme un politique et de parler comme un journaliste.

FIN

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