L’Actualité LOTFI BENBAHMED, MINISTRE DE L’INDUSTRIE PHARMACEUTIQUE

“L’industrie pharmaceutique doit être créatrice de richesses”

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Akli REZOUALI Publié 10 Octobre 2021 à 23:58

© Archives Liberté
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Le ministre de l’Industrie pharmaceutique, Abderrahmane Djamel Lotfi Benbahmed, nous livre, dans cet entretien, les détails de la réalisation et de la mise en activité de l’usine de Saidal pour la production du vaccin anti-Covid-19. Selon lui, ce projet à haute valeur économique permet à la fois de substituer la production locale à l’importation et d’engager en même temps de potentielles opérations d’exportation.

Liberté : Dans quelle vision économique s’inscrit aujourd’hui la politique nationale du médicament, un an après la création d’un ministère de l’Industrie pharmaceutique ?
Lotfi Benbahmed : La stratégie de fonctionnement et l’objectif du ministère de l’Industrie pharmaceutique, c’est à la fois de répondre aux missions premières du secteur de la santé en termes de disponibilité, de qualité et d’accessibilité aux produits pharmaceutiques, mais aussi de se projeter pour les besoins économiques et stratégiques du pays. Pour ce faire, nous travaillons désormais sur la base d’une nouvelle équation pharmaco-économique originale à travers laquelle, il est question, notamment, de ne plus importer les produits disponibles localement et de ne renouveler les autorisations à la production que sur la base de critères clairs de taux d’intégration. Les ressources du pays en devises sont aujourd’hui limitées, et il est donc logique de les consacrer d’abord à ce que nous n’avons pas, et non à ce que nous avons déjà localement. Aussi, nous n’importons plus les produits non essentiels ou les médicaments qui n’ont pas une vraie valeur thérapeutique et qui ne sont pas remboursés dans leur pays d’origine par la Sécurité sociale. Cela nous permet de mieux maîtriser la facture nationale d’importation des médicaments.

Comment évolue justement cette facture nationale d’importation des médicaments ?
Sur l’année écoulée, la facture d’importation des médicaments a baissé de 300 millions de dollars par rapport à 2019. Cette année, nous réalisons une économie de quelque 500 millions de dollars sur cette même facture. Depuis 2019, nous sommes ainsi passés d’un total de 2 milliards de dollars d’importation de médicaments à seulement 1,2 milliard de dollars, tandis que la production locale représente aujourd’hui 2,5 milliards de dollars. En valeur, la part de la production nationale est ainsi de 66% et celle de l’importation a reculé à 34%. Pour faire simple, 3 produits pharmaceutiques sur 4 sont aujourd’hui fabriqués localement.

L’industrie pharmaceutique locale peut-elle être érigée en secteur-clé et stratégique pour contribuer à diversifier l’économie nationale ?
L’industrie pharmaceutique nationale doit être aujourd’hui réellement créatrice de richesses, alors qu’auparavant, elle n’était pas toujours axée sur une logique économique claire et cohérente. 
Désormais, nous ne gardons que les productions qui réalisent des taux d’intégration favorables. Et pour ne pas dissuader les firmes internationales qui ont des projets de production en Algérie et qui produisent des princeps avec des matières premières parfois plus chères - ce qui réduit leur taux d’intégration -, nous avons intégré dans nos critères un taux d’exportation pour les inciter à mieux exporter, en contrepartie de la préservation de leurs parts sur le marché local.

L’unité locale de fabrication du vaccin anti-Covid est officiellement opérationnelle. Au-delà de l’intérêt sanitaire évident de ce projet, quelles pourront être sa finalité et sa portée économiques à long terme ?   
Le passage à la production locale du vaccin anti-Covid obéit exactement à la même stratégie que j’ai évoquée précédemment, soit d’abord aux principes de disponibilité, d’accessibilité et de qualité, puis à ceux de l’équation pharmaco-économique qui préside à notre démarche d’ensemble. 
Rappelez-vous, il n’y a pas si longtemps, ce vaccin si primordial n’était même pas disponible. Aussi, fallait-il d’abord en assurer la disponibilité, sachant que nous sommes encore dans une situation pandémique dont on ne voit pas la fin. Le fait d’avoir un site de production local nous permet ainsi de garantir une disponibilité continue de ce vaccin. S’agissant de la qualité, nous disposons de la licence du Coronavac avec le partenaire chinois Sinovac, qui atteste ainsi que le vaccin fabriqué en Algérie est identique à l’original. Il faut savoir que cela n’est pas une mince affaire et qu’il ne s’agit pas simplement de prendre une matière première et de la mettre en flacon. Il faut, entre autres exigences impératives, veiller aux critères d’homogénéité et de stérilité absolue. Il a fallu près de 90 validations d’experts que Saidal a pu obtenir avant de pouvoir produire le vaccin. Et cela, bien sûr, une fois le site de production validé, au préalable, par le partenaire chinois. Aujourd’hui, l’usine est officiellement fonctionnelle avec un intérêt et une portée stratégique, mais aussi hautement économique. 

Quels sont, plus précisément, la valeur ajoutée et les coûts charriés par ce projet ?
Il faut d’abord préciser qu’avant l’entrée en activité de ce site de production, le vaccin anti-Covid acheté à l’étranger nous revenait à 12,5 dollars la dose en produit fini. Maintenant qu’il est fabriqué localement, il coûte 4,67 dollars la dose, en équivalent matière première. 
En tout, c’est donc une économie de plus de 7 dollars par dose qui est réalisée grâce à cette unité de production. Pour ce qui est du coût du projet, il faut avant tout savoir que nous ne sommes pas partis de zéro car les équipements existaient déjà et le personnel était formé.

Le site Saidal était, en fait, bien équipé pour produire à la base de l’insuline en flacon. Or, comme l’insuline est désormais produite en stylo, cette usine est tout indiquée pour fabriquer des vaccins. L’équipement et le personnel étaient déjà disponibles, et l’opportunité était donc réelle pour fabriquer localement le vaccin anti-Covid-19. En définitive, cet investissement n’a charrié comme coût global que celui de la matière première fournie par le partenaire chinois. En outre, le Coronavac produit sous licence en Algérie n’est pas un générique, mais le même vaccin que celui fabriqué par Sinovac, avec exactement la même dénomination et les mêmes propriétés. 

Quelles sont les capacités de production de cette usine de vaccins et que deviendrait-elle si le virus de la Covid venait à être éradiqué ? 
Si un jour le virus de la Covid-19 disparaissait complètement, l’usine Saidal pourrait servir à fabriquer tout autre type de vaccin, comme le vaccin antigrippal, et ce, dès lors qu’elle est parfaitement outillée pour le faire et que nous avons désormais la maîtrise des process de stérilité absolue. S’agissant de la production du vaccin anti-Covid, elle suit d’abord les besoins de la campagne nationale de vaccination, en complément des importations qui ont déjà été réalisées avant l’entrée en activité du site Saidal. La production locale va se substituer à l’importation. Il n’y aura plus d’achat de ce vaccin à l’étranger hormis ce qui est déjà convenu dans le cadre du programme de l’ONU. 

En termes de rythme de production, le site fabrique actuellement 320 000 doses par jour. Ce rythme augmentera tous les mois, et à partir de janvier prochain, il atteindra plus de 5 millions de doses par mois. Ces quantités prévues correspondent aux besoins de la campagne de vaccination locale dans le cadre de l’initiative “Djazaïrvac”. Pour l’instant, nous avons un carnet de commandes global de 65 millions de vaccins que nous avons étalées en fonction du rythme de la campagne nationale de vaccination contre la Covid.  

L’unité de production locale de vaccins anti-Covid offre-t-elle un potentiel à l’exportation ? 
À la base, le contrat entre Saidal et Sinovac table sur l’exportation. C’est un projet qui a été conçu dès le départ pour avoir une dimension régionale et continentale. Comme le site dispose de capacités de production supplémentaires allant jusqu’à 8 millions de vaccins par mois, nous prévoyons de les mettre à la disposition de l’exportation, notamment dans le cadre du programme Africavac en direction de pays africains. 

À terme, l’on pourra exporter aisément jusqu’à 130 millions de vaccins, en fonction, bien entendu, des commandes que l’on aura. À l’échelle africaine, il y a actuellement trois plateformes de production : une en Afrique du Sud, une en Algérie et une troisième en Égypte. Ce sont les trois pays qui peuvent actuellement répondre à la demande africaine en vaccins anti-Covid. 

Nous concernant, nous avons déjà engagé des contacts en vue d’exporter vers des pays africains et nous allons recevoir des délégations de l’Union africaine dès ce mois d’octobre pour entreprendre des discussions à ce sujet dans le cadre multilatéral. Il y aura, par ailleurs, d’autres échanges bilatéraux avec d’autres pays du continent pour de potentielles opérations d’exportation. Il s’agit bien sûr de démarches dont la dimension est à la fois économique, diplomatique et géopolitique. 

La santé économique de l’unité locale de fabrication de vaccins ne reste-t-elle pas tout de même tributaire de l’aboutissement de la campagne nationale de vaccination contre la Covid ?  
Il faut effectivement inciter tout le monde à se faire vacciner, car si l’on veut sortir de la pandémie de Covid, l’on doit passer par la vaccination.  Le choix du vaccin chinois est pertinent, car il obéit aux méthodes classiques et approuvées de vaccination comme les vaccins contre la rage ou autres. Il faut absolument éviter tout relâchement quant à la vaccination, car même si les chiffres de contamination sont en baisse, il y a encore tous les jours des décès dus à la Covid-19.
 

Entretien réalisé par : AKLI REZOUALI

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