L’Actualité le rapport Stora enflamme les débats sur la question de la mémoire coloniale

Bataille des mémoires

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Souhila HAMMADI Publié 24 Janvier 2021 à 09:34

© D.R
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Remis au président français, le rapport Stora a déjà le mérite d’ouvrir le débat en France, en Algérie et entre les deux rives sur la possibilité de parvenir à une paix des mémoires. Un exercice, certes, difficile, mais nécessaire si l’on veut éviter de rejouer la guerre en permanence. L’examen mérite d’être engagé avec lucidité, loin des surenchères douteuses.

Le rapport de Benjamin Stora sur les mémoires de la colonisation et la guerre d'Algérie (1954-1962) provoque des controverses, aussitôt remis au président français Emmanuel Macron. Les réactions sont mitigées sur ce qu'il suggère subrepticement — entre autres un possible retour des harkis et leurs familles dans leur pays d’origine — et ce qu’il ne tranche pas vraiment, dont l’épineuse question de l’ouverture de toutes les archives sur la colonisation française. L’historien Olivier Le Cour Grandmaison souligne, à ce propos, que le document “reste muet sur les dispositions actuelles qui entravent l’accès aux archives”, soit l'instruction générale interministérielle 1 300 sur la protection du secret de la défense nationale (IGI 1 300). Au-delà des professions de foi, les autorités algériennes ne semablent pas vouloir, non plus, édifier l’opinion publique ou mettre à la disposition des historiens les documents sur la guerre d’indépendance en sa possession.  

L'Algérie n’a pas réagi franchement au contenu du document. En l’absence du président de la République, en soins à l’étranger, aucune voix n’est habilitée, probablement, à se prononcer sur une telle actualité. Il est curieux, tout de même, que les relais traditionnels du régime ne claironnent pas leur indignation face au mutisme dudit rapport sur une repentance ou de potentielles excuses de l’ancien colonisateur. Considère-t-on que ce soit un débat circonscrit à l’Hexagone tant qu’Abdelmadjid Chikhi, l’interface de l’historien missionnaire du président Macron, n’a pas encore livré la propre version de son pays ? C’est envisageable, considérant que le mea-culpa de la France pour ses crimes commis durant la colonisation est une revendication récurrente des Algériens, même si l’État ne l’a pas requis officiellement. 

En juillet 2020, le président Abdelmadjid Tebboune avait estimé, dans une interview à France 24, que l'Algérie “a déjà reçu des demi-excuses (reconnaissance par Emmanuel Macron de crime contre l’humanité en 2017, ndlr). Il faut faire un autre pas […] On le souhaite […] Cela va permettre d'apaiser le climat et le rendre plus serein pour des relations économiques, pour des relations culturelles, pour des relations de voisinage”. Vœu pieux. La position de l’Élysée ne souffre aucune ambiguïté. Le jour de la réception du rapport sur les mémoires de la colonisation et la guerre (1954-1962), un communiqué de l'institution a anticipé sur une possible polémique : “Des actes symboliques sont envisagés, mais il n'y aura ni repentance ni excuses.” Ces “actes symboliques” se matérialiseront par l’institution de trois dates de commémoration : la journée nationale des harkis le 25 septembre, la répression des manifestants algériens à Paris le 17 Octobre 1961 et les accords d'Évian du 19 Mars 1962.

Il faut croire que le rapport de l’historien français est critiqué en France sans que l’Algérie ait besoin de rappeler les lignes rouges qu’elle a dressées au projet de mémoire. Pour les uns (particulièrement les historiens), le travail est inabouti. Pour d’autres, il est carrément étriqué. Hier, le Comité national de liaison des harkis (CNLH) l’a qualifié de “minimalisme”. “C’est de la poudre aux yeux (…) Les personnes qui restent sont dans leur lit de mort ou sont âgées et ne retourneront pas en Algérie. Quant aux enfants, les jeunes, quand ils y vont, ils sont mal accueillis”, assure l’un de ses membres à l’AFP.

Il est admis que les Algériens développent une  aversion épidermique contre “les harkis”, ceux-là mêmes que la conscience collective considère comme “des traîtres à la cause de l’indépendance, ceux qui ont préféré pactiser avec l’ennemi”. D’ailleurs, le conseiller du président Tebboune chargé des archives et de la mémoire a attesté dernièrement que l’Algérie ne transigera pas sur la question des harkis. À ce titre, le CNLH n’espère pas une résilience de l’Algérie, mais plutôt que “la France reconnaisse définitivement le mal qu’elle a fait.

En cachant cette partie de l’Histoire, elle fausse l’Histoire”. Benjamin Stora préconise des confessions sur l'assassinat, par l'armée française, d’Ali Boumendjel. Bon nombre d’historiens algériens, dont Mebarek Djaafri de l'université d'Adrar, interrogé par le quotidien El Khabar, jugent sa démarche sélective. En mars 1957, la mort de l’avocat et nationaliste algérien de 38 ans a été maquillée en suicide, comme celle de Maurice Audin, de Larbi Ben-M’hidi et de tant d’autres dirigeants de la Révolution nationale. “Je crois que les responsables politiques français ne mesurent pas encore à quel point des familles entières ont été dévastées par le mensonge d’État”, estime Fadhila Boumendjel-Chitour, du réseau Wassila et nièce d’Ali Boumendjel.

En définitive, l'accueil circonspect du rapport de l’historien français spécialiste de l’Algérie contemporaine confirme la persistance des tensions et des passions autour des 132 ans d’histoire partagée entre l’Algérie et la France. Une écriture commune des mémoires de la colonisation et de la guerre d’Algérie se heurte à des susceptibilités et des clivages aussi bien dans les enjeux que dans les interférences politiques. “On ne peut pas réconcilier l’irréconciliable et je n’ai pas cette prétention”, se résigne à reconnaître Benjamin Stora. 

Dans une interview publiée hier dans le quotidien EI Watan, il explique que la perception des effets de la colonisation demeure sous-jacente à des optiques opposées d’une rive à l’autre de la Méditerranée. La mémoire collective retient, du côté Sud, “la dépossession des terres, les massacres, les déportations de la population…”. Au Nord, on pense encore avoir apporté “la civilisation, la culture et (…) avoir construit un pays avec des routes, des hôpitaux…”. 

L’historien affirme qu’il est, certes, inimaginable d’écrire une histoire commune, tant les points de vue sont divergents et les exigences insurmontables. “Mais, tient-il à tempérer, derrière ces visions, il y a quand même un espace mixte culturel qui s’est créé, des histoires qui se sont nouées, un univers du contact, du vivre-ensemble qui a existé.” 

“Donc il y a quand même une histoire sur laquelle on peut s’appuyer, non pas pour réconcilier ce qui ne peut pas l’être, mais pour trouver du commun”, estime l’historien qui s’est appuyé, dans son travail, sur quelques dénominateurs communs, sans forcément aborder, ou au moins approfondir, les dossiers clivants. “J'ai préféré adopter une démarche pratique, pragmatique, plutôt que de rester dans la dénonciation idéologique du colonialisme”, se défend-il, privilégiant la solution d'une commission “Vérité et Mémoire”.

 


Souhila Hammadi

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