
Surcoûts exorbitants, retards immenses dans la réalisation et dangereuses malfaçons ; le projet, qui aura coûté pratiquement le triple de son évaluation initiale — près de 20 milliards de dollars —, incarne toute l’étendue de la gabegie et de la corruption qui ont marqué cette dernière décennie.
Lancée en grande pompe, il y a une décennie, comme étant le “projet du siècle”, l’autoroute Est-Ouest a pulvérisé tous les records… Mais pour ses scandales, ses malfaçons et les retards dans les délais de sa livraison qui ont engendré des surcoûts exorbitants. Il aura fallu attendre une décennie de plus pour l’achèvement de tous les travaux de ce qui est devenu un “éternel chantier”.
Le Premier ministre, Abdelaziz Djerad, vient, en effet, de donner instruction pour la finalisation du dernier tronçon et la mise en service de ses stations de péage avant la fin de 2021. La finalisation de l’ultime tronçon, long de 84 km, entre la ville de Dréan (El-Tarf) jusqu’à la frontière algéro-tunisienne devra être livré, selon les annonces officielles, “au premier semestre 2021”.
Les initiateurs de ce mégaprojet peuvent désormais, s’enorgueillir d’avoir réussi l’exploit du… siècle en réalisant l’autoroute la plus chère au monde et dans les délais les plus longs, dépassant tout entendement.
Chaque kilomètre des 1 200 prévus a coûté 11 millions de dollars, estiment plusieurs experts ! Un tarif trois fois plus cher par rapport à des projets similaires édifiés de par le monde, s’accordent à dire des professionnels du secteur des travaux publics.
Un coût total avoisinant les 20 milliards de dollars (13 milliards de dollars, coût réel du projet et plus de 7 milliards de dollars d’entretien et de mise aux normes requises), un délai de réalisation qui dépasse dix ans, de nombreuses et dangereuses malfaçons, écueils et imprévus à cause de l’absence d’études rigoureuses sont autant de faits qui résument les “performances” du triste palmarès de ce grand ouvrage.
Or, selon l’organisme français Setra (Service d’études sur les transports, les routes et leurs aménagements), “la mise en service d’un kilomètre d’autoroute flambant neuf revient à 6,2 millions d’euros (équivalent à 7,7 millions de dollars, soit 30% moins cher que le prix moyen du kilomètre de l’autoroute Est-Ouest)” !
La même source précise que ce coût a été calculé sur la base d’un tronçon de 10 kilomètres avec échangeurs et ponts. Ce qui est encore plus déplorable, c’est que l’autoroute Est-Ouest a, depuis sa mise en service, enregistré, de manière régulière, des accidents, des catastrophes et autres sinistres qui ont occasionné de gros dégâts matériels.
Les parties de l’autoroute Est-Ouest, livrées jusque-là à la circulation, sont composées d'un corps de chaussée gondolé, fissuré, fracturé, cabossé, affaissé, vallonné et troué un peu partout tout le long du tracé, ne répondant à aucune norme basique relative aux infrastructures, souligne un spécialiste des risques majeurs.
Cet amer constat est dû à l’empressement acharné des pouvoirs publics pour la concrétisation et la livraison rapide de l’ouvrage. L’ancien président déchu, Abdelaziz Bouteflika, pressé et voulant briguer un troisième mandat présidentiel en avril 2009, avait exigé, en effet, que le projet soit suffisamment avancé, sinon achevé, à l’échéance prévue.
Quand il est arrivé au pouvoir en 1999, il a ressuscité le projet de l’autoroute Est-Ouest (AEO) qui dormait au fond des tiroirs des bureaux du ministère des Travaux publics depuis les années 1960. Moins de 300 km ont été construits dans les années 1980 par des entreprises algériennes, souvent publiques, financées par des prêts de la Banque européenne d’investissement, de la Banque mondiale et d’un fonds koweïtien.
Le délai retenu pour la poursuite du projet était très bref, à peine 40 mois. Le démarrage était laborieux. Les études n’existaient pratiquement pas.
Un atout de campagne pour un troisième mandat en 2009
Ce sera aux entreprises choisies de les réaliser au fur à mesure de l’avancement des travaux. Avec le retour des équilibres économiques et la bonne santé des finances publiques, l’ancien président décide en février 2005, près d'un an après sa réélection, de financer l'intégralité des tronçons restants par le Trésor public, contre l'avis de son ministre des Finances de l’époque.
La question des prix n’était donc plus une obsession pour les autorités algériennes. L'appel d'offres international limité sur la base d'un cahier des charges précis pour le projet fut lancé le 23 juillet 2005. Plusieurs réponses furent enregistrées (américaine, française, allemande et portugaise).
Ce sont finalement deux consortiums qui ont été sélectionnés : le chinois Citic-CRCC et le japonais Cojaal. Sur les 927 km en compétition, Cojaal remporte le tronçon Est (43%), le groupement chinois l’Ouest et le Centre (57%). Les résultats furent annoncés le 15 avril 2006 et les contrats de réalisation signés le 18 septembre 2006.
L’essentiel pour les autorités, c’est de confier en toute urgence la réalisation de l’intégralité de l’autoroute à un ou deux conglomérats et payer les travaux avec l’argent du pétrole qui enregistrait alors une envolée de ses prix sans précédent. Si le projet de l'autoroute a démarré en 2006, plusieurs tronçons existaient déjà.
Les nouveaux (tronçons) ont commencé à être livrés progressivement depuis 2008. Les tranches situées à l’Ouest et au Centre, réalisées par le groupement chinois Citic-CRCC, ont été livrées à la circulation, mais les travaux ne seront pas achevés avant 2016 sur la section Est, confiés au groupement japonais Cojaal.
Des problèmes techniques, ainsi que l'incapacité de Cojaal à réaliser ce type d'infrastructures pourraient expliquer ce retard. Ne dit-on pas qu’en gestion de projet, il ne faut pas être trop pressé car une toute petite impatience ruinera un grand ouvrage.
Outre le scandale de corruption qui avait déjà éclaboussé le projet en 2010, la qualité des travaux réalisés par Citic-CRCC n’était pas conforme aux normes internationales et des travaux de réfection étaient déjà nécessaires.
Le ministre des Travaux publics de l’époque, Abdelkader Kadi, qui a reçu ce cadeau empoisonné de son prédécesseur, Amar Ghoul, avait reconnu l’existence de certains problèmes dus, notamment, au non-respect de certains bureaux d’études de leurs engagements, affirmant que ces derniers sont interdits de travailler en Algérie et leurs contrats ont été résiliés. Des mesures logiques, mais qui ne permettaient pas de rembourser le préjudice causé.
L’on se demande, en revanche, pourquoi le ministère n’a pas fait appel à des arbitrages internationaux, pour exiger les dommages et intérêts à ces bureaux d’études ? Résultats des courses : en 2006, le marché de réalisation de l’autoroute Est-Ouest a été attribué avec un coût de 6 milliards de dollars.
Mais de réévaluation en réévaluation, le projet a coûté 13 milliards de dollars, selon l’ex-ministre des Travaux publics, Abdelkader Kadi.
Abstraction faite de ce surcoût excessif, qui, du reste, est inadmissible, les deux consortiums réalisateurs ont livré une autoroute exiguë sans commodités, cabossée, défoncée, crevassée, lézardée, laissant place régulièrement à l’apparition sur l’ensemble du tracé d’ornières et de bourrelets anormaux.
“Ce qui constitue un réel cas d’école en matière d’inepties et de graves erreurs techniques inacceptables sur n’importe quel ouvrage de génie civil, quels que soient son importance, sa destination et son lieu d’implantation”, commente un expert.
Des sinistres gravissimes continuent de foisonner tout le long du tracé de cette autoroute, ainsi qu’au niveau de certains ouvrages d’art et presque la totalité des aménagements routiers aux entrées, sorties et contournements de certaines agglomérations.
Pour les experts, l'occurrence de ces sinistres à répétition est rarement une surprise compte tenu de la superficialité, voire de l'absence d'études sérieuses relatives à la géologie, à la géomorphologie, à l'hydrogéologie et à l'investigation dynamique des sols traversés, d'une part, et des sollicitations extrêmes dues à la forte densité du trafic routier, d'autre part.
Badreddine KHRIS